Autoproduction accompagnée

Cahier de l’entrée Travailler / Entreprendre

Argumentaire

L’économie marche avec deux jambes, mais les économistes et les pouvoirs publics sont unijambistes. Les enquêtes de budget temps montrent que la population française dans son ensemble consacre à peu près le même nombre d’heures à une activité professionnelle rémunérée et aux activités non rémunérées dans le cadre de la vie domestique. Pourtant, toute l’attention se porte sur l’économie monétaire, sur le PIB qui estime les richesses produites au cours d’une année, sur l’évolution du niveau de vie mesurée par les ressources monétaires. L’économie non monétaire passe inaperçue, elle reste dans l’ombre. Une telle représentation de notre vie économique s’explique par le fait que, depuis les débuts de la révolution industrielle, le progrès était associé à l’augmentation des richesses économiques produites dans le secteur monétaire. Aujourd’hui il devient de plus en plus évident que nos modes de production et de consommation vont être bouleversés pour relever le défi écologique. L’un des bouleversements à opérer doit nous amener à attacher plus d’importance à l’autoproduction comme contribution à une relocalisation des économies, comme source de bien-être pour tous, comme l’un des moyens de lutter contre l’aggravation actuelle des inégalités sociales. Paradoxalement, ce sont ceux qui disposent de peu de revenus, de peu d’espace, et qui manquent parfois de savoir-faire, qui ont le moins de moyens de recourir à l’autoproduction pour améliorer leur situation. Il faut créer les conditions pour que ceux qui en ont envie puissent recourir à l’autoproduction, quitte à les accompagner dans ces activités enrichissantes en tous les sens du terme.

Je m’indigne que l’on cherche à susciter des envies de consommer tout et n’importe quoi, alors que des besoins essentiels pourraient être satisfaits par l’autoproduction accompagnée..

Je m’indigne que l’on reproche aux plus démunis de vouloir être assistés, alors qu’on ne leur permet pas de faire par eux-mêmes.

Je déplore, comme le Conseil Général des Ponts et Chaussées, que la rénovation urbaine en ne s’intéressant guère qu’au béton et très peu au volet social manque en bonne part son but. Pour l’efficacité des dépenses publiques, il serait rationnel de transférer une petite partie des sommes consacrées aux investissements dans le bâti vers l’autoréhabilitation accompagnée. Des évaluations réalisées auprès des familles ayant réhabilité leur logement ont montré les économies qui pouvaient en résulter notamment du point de vue des politiques de la famille et de l’enfance, des dépenses sanitaires, de la préservation du patrimoine immobilier, des politiques d’insertion et de cohésion sociale.

De même, en faisant quelques investissements pour créer des Jardins familiaux de développement social, on améliorerait l’alimentation des plus démunis et on réduirait les dépenses de santé dues par exemple au diabète ou à l’obésité.

Facteurs de succès

L’objectif est de faire des réalisations réussies un tremplin pour leur généralisation.

Il y faut de la méthode. Les jardins familiaux sont un outil polyvalent de développement social territorialisé. Mais cet outil ne produit pas tous ses effets comme par miracle ; il ne faut pas s’imaginer qu’il suffit de créer un équipement sur un territoire pour obtenir automatiquement les effets souhaités ! Par exemple, si l’on veut que les jardins produisent non seulement des légumes et des fleurs mais aussi des effets sociaux qui contribuent à changer la vie du quartier, il faut que la régulation de la vie collective soit confiée à un animateur compétent.

Nécessité d’une démarche participative : la création, l’aménagement et le fonctionnement quotidien d’un groupe de jardins familiaux doivent s’appuyer sur des démarches réellement participatives. L’erreur la plus courante consiste à faire appel à un cabinet d’architectes- paysagistes - urbanistes qui après avoir organisé une ou deux réunions et distribué un questionnaire va concevoir l’aménagement d’un terrain qui sera livré aux habitants clé en main. Il est essentiel au contraire que les candidats jardiniers et les habitants du quartier soient associés très tôt aux diverses étapes de la conception des jardins et de leur aménagement. Cela demande du savoir-faire et du temps.

Les actions en cours pour développer l’autoproduction accompagnée.

Informer les élus et les techniciens qui les entourent des bénéfices que l’on peut en retirer, des conditions à réunir pour avoir des réalisations de qualité.

Multiplier le nombre de porteurs de projet et d’opérateurs en organisant des formations et en mettant des guides à leur disposition.

Poursuivre les recherches action pour favoriser un développement et une meilleure efficacité de l’autoproduction accompagnée : en analysant à quelles conditions optimales les jardins peuvent améliorer l’alimentation, comment les Plans Locaux d’Urbanisme peuvent réserver des terrains pour les jardins, comment l’autoréhabilitation accompagnée permet de lutter contre la précarité énergétique, comment l’autoproduction accompagnée permet de renouveler le travail social etc, etc.

Les pouvoirs publics commencent à sortir de l’ombre l’autoproduction accompagnée.

Il a déjà été question des recommandations du Conseil d’Etat en faveur de l’autoréhabilitation accompagnée.

La Direction générale de l’alimentation du Ministère de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, a lancé au printemps 2011 un appel à projet visant notamment à « développer l’agriculture en ville (ex. les jardins familiaux).

La mission « Transformation des modes de vie, des comportements et de la consommation » a remis le 28 février 2010 à Valérie Létard, secrétaire d’Etat à la solidarité » un rapport qui souligne l’intérêt de « Promouvoir les jardins familiaux et collectifs dans les quartiers défavorisés », et d’« encourager un programme ambitieux d’accompagnement à l’auto-réhabilitation »

Le Conseil Général de l’Environnement et du Développement durable, en avril 2010, dans un rapport de la « Mission sur la production de logements sociaux en diffus » souhaite « Encourager l’autoréhabilitation par les occupants d’habitat dégradé pour leur maintien dans les lieux après remise en état de leur habitat ».

Il y a de bonnes raisons de penser que les promoteurs des Agendas 21 au niveau du pouvoir central souligneront prochainement l’intérêt qu’il y aurait à développer les Jardins familiaux de développement social et l’autoréhabilitation accompagnée.

Autoproduction accompagnée et Economie sociale et solidaire.

S’intéresser à l’autoproduction accompagnée serait pour l’ESS une occasion de bien marquer ses distances par rapport à l’idéologie économique dominante qui, sous prétexte de s’intéresser à l’emploi et à la mesure traditionnelle de la richesse, en oublie l’économie non monétaire et les activités non rémunérées, c’est-à-dire la moitié de la vie économique. Déjà certains acteurs de l’insertion par l’activité économique ont compris tout l’intérêt qu’il peut y avoir à ajouter une corde à leur arc en développant l’autoproduction accompagnée avec les publics qu’ils suivent. Cela a été le cas récemment avec Centremploi à Salon de Provence qui a créé un service d’autoréhabilitation accompagnée. Déjà certains conseils régionaux (PACA, Aquitaine, Ile de France) favorisent l’émergence des activités d’autoproduction. Espérons qu’ils feront école. Si les grands acteurs de l’économie sociale comprenaient qu’en s’intéressant à l’autoproduction accompagnée, ils contribuent à encourager une nouvelle économie adaptée à une nouvelle époque, alors les tenants de l’autoproduction accompagnée pourraient considérer qu’ils ont gagné la partie .

Présentation de l’initiative (Quoi ?)

Deux types d’activité illustrent tout l’intérêt de l’autoproduction accompagnée.

Les Jardins familiaux de développement social.

Le désir de bien des gens de produire pour eux-mêmes est évident puisque de l’ordre de 20% de ceux qui habitent en logement social manifestent leur volonté de jardiner si on leur en offre la possibilité. Les besoins sont donc immenses.

Les évaluations prouvent que la création d’un groupe de jardins dans une cité a des effets très positifs en termes d’autonomisation, de lien social et de revalorisation de l’habitat.

La majorité des ménages économiquement faibles disposant d’un jardin affirme qu’il leur permet d’économiser et surtout d’améliorer la qualité et la diversité de l’alimentation. Les habitudes alimentaires se modifient.

Les jardins sont un des rares lieux du quartier où les enfants sont initiés de manière sensible à la valeur et à l’utilité du travail. Le simple fait que les jeunes respectent le plus souvent les jardins atteste qu’ils y rencontrent une valeur importante.

Les jardins favorisent une sociabilité élargie et la coexistence des diverses communautés. On se donne un coup de main, on s’échange des graines, des plants et des semences. C’est parce les jardins favorisent la consolidation de la sphère privée qu’ils sont un outil précieux d’initiation à la sphère publique. Ces lieux sont à la fois publics (on peut y circuler librement, on y voit les autres, on y est vu etc.) et aussi privés (chaque titulaire est maître de sa parcelle, son activité relève de l’économie domestique et de l’intimité familiale).

La création de jardins familiaux entraîne dans les cités une requalification et une appropriation des espaces extérieurs souvent négligés. Les habitants portent un nouveau regard sur leur habitat et l’image de la cité n’est plus la même surtout si les habitants extérieurs à la cité sont invités à participer par exemple à la fête annuelle des jardins.

L’autoréhabilitation accompagnée.

De nombreux ménages qui occupent des logements dégradés manquent non seulement de ressources financières mais aussi des savoir-faire pratiques qui permettent d’améliorer le logement et de l’entretenir. Des associations, aujourd’hui trop peu nombreuses, qui travaillent en partenariat avec des services sociaux, proposent à des familles en difficulté un monitorat technique et social pour réaliser des travaux d’amélioration dans leur propre logement.

Le rapport du Conseil d’Etat du 11 juin 2009 intitulé « Droit au Logement, Droit du logement », propose l’autoréhabilitation accompagnée comme un des remèdes à la pénurie de l’offre de logement : formule peu coûteuse pour la collectivité qui a pour les personnes et la collectivité de multiples effets bénéfiques.

Améliorer le logement et l’entretenir dans la durée. Les chantiers d’autoréhabilitation accompagnée permettent aux personnes démunies d’améliorer leur logement de se l’approprier et de l’entretenir dans la durée

Maintenir les occupants dans les lieux, Il n’est pas toujours possible ni souhaitable de reloger les ménages mal logés. Il est donc important de les aider à rester dans les lieux, mais dans des conditions décentes.

Prévenir le risque sanitaire Un chantier d’autoréhabilitation accompagnée permet de réduire les facteurs matériels de risque sanitaire : meilleure isolation thermique, création d’une ventilation efficace, mise aux normes des équipements sanitaires et de chauffage, nettoyage ou réfection des sols et surfaces etc.

Faire face à la montée de la précarité énergétique. Les chantiers d’autoréhabilitation accompagnée sont l’occasion de diminuer significativement la précarité énergétique en améliorant l’isolation ou en installant des équipements plus performants, économes et sûrs.

Eviter une dégradation irrémédiable du bâti. Les coûts financiers du déficit d’entretien des bâtiments sont considérables. Des chantiers d’autoréhabilitation accompagnée, en milieu rural comme en ville, permettent d’éviter de démolir et de rebâtir  en maintenant le patrimoine existant.

Favoriser l’autonomisation des ménages. Le chantier, basé sur le faire par soi-même, prend le contre-pied de la culture de la dépendance qui est si souvent déplorée chez les usagers de l’aide sociale.

Rétablir les liens sociaux : Les ménages mal logés ont tendance à se replier et à se marginaliser. Le chantier d’autoréhabilitation accompagnée est l’occasion de rétablir des liens de coopération avec la famille élargie ou le voisinage.

Favoriser la mise en activité : Pendant le chantier, le bénéficiaire mobilise son énergie et ses ressources. Après le chantier, fort d’une confiance en soi et d’une autonomie accrue, le bénéficiaire aura une capacité plus grande à se projeter dans l’avenir. Il sera mieux armé pour clarifier sa situation administrative ou financière, pour mieux prendre en charge sa santé, ou encore reprendre un projet professionnel en panne.

Synthèse de mon indignation en une seule phrase

L’autoproduction accompagnée apparaît aujourd’hui comme une contribution à une relocalisation des économies, comme une source de bien-être pour tous, comme l’un des moyens de lutter contre l’aggravation actuelle des inégalités sociales.