L’illettrisme est une des causes du surendettement

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Argumentaire

Le surendettement est un problème social grave, il fait régulièrement la une des journaux dans le cas de drames familiaux où il est souvent un des facteurs poussant les individus à l’extrême. Au-delà de ces cas exceptionnels, il perturbe gravement la vie des personnes et familles qu’il touche, et engendre souvent des souffrances psychiques invalidantes de type dépression, angoisse, perte de confiance en soi et sentiment d’exclusion.

Les chiffres qui suivent résument l’ampleur du problème du surendettement, de la précarité financière et de l’exclusion bancaire et sociale en France :

o Entre 5 et 6 millions de personnes sont en situation d’exclusion bancaire (leurs difficultés d’accès et/ou d’usage des services bancaires sont telles qu’elles ne peuvent pas mener une vie sociale normale) o 2 600 000 personnes étaient, à fin 2010, inscrites au Fichier des Incidents de Remboursement des Crédits aux Particuliers (FICP), et donc quasi interdites de crédit

o 1 600 000 personnes étaient, à fin 2008, inscrites au Fichier Central des Chèques (FCC), et donc interdites de chéquier

o En novembre 2010, 770 000 ménages étaient en situation officielle de surendettement auprès de la Banque de France (210 000 demandes nouvelles ont été déposées en 2010, chiffre en augmentation rapide)

o 12 à 14 % des ménages sont touchés par des difficultés de paiement de leurs charges courantes et/ou de remboursement de leurs crédits (à cause d’un « malendettement » dû à une durée trop courte ou à des taux trop élevés des crédits).

La loi Lagarde, promulguée le 1er juillet 2010, apporte de notables améliorations dans le traitement du surendettement et le contrôle de la distribution du crédit à la consommation mais elle sera probablement insuffisante pour faire face à la gravité de la situation.

Le surendettement a souvent pour origine les accidents de la vie et les excès des banques dans la distribution du crédit à la consommation. Mais aussi, dans de nombreux cas, l’incompétence budgétaire et bancaire des emprunteurs, que certains désignent sous le nom d’ « illettrisme de l’argent ». Bien que peu étudié, ce phénomène est probablement aussi répandu et aussi grave que l’illettrisme classique. Cette incompétence aggrave la fragilité financière de nombreux ménages, elle est parfois même la principale cause du surendettement.

Ces personnes se sentent incompétentes dans la gestion de leur argent soit parce qu’elles n’en ont jamais appris les bases, soit parce que ces questions les angoissent énormément. Elles ont donc tendance à ne pas gérer leur budget, à ne constituer aucune épargne de précaution et à se mettre en dehors des règles de « bonne conduite » bancaire (leur compte est régulièrement débiteur, elles tirent des chèques sans provision etc.). Leur banque le leur fait payer souvent durement. Par ailleurs, elles constituent des proies faciles pour les marchands de crédit, surtout du type crédit renouvelable, et se retrouvent fréquemment dans l’enfer du surendettement et de l’exclusion bancaire.

Pourquoi, malgré l’ampleur des dommages qu’elle entraîne, cette incompétence budgétaire et bancaire n’est-elle pas étudiée par les chercheurs en sciences humaines et par les pédagogues ? Pourquoi aucune politique publique ne semble-t-elle s’attaquer spécifiquement à cette grave carence ?

Données chiffrées

• En 2010, celles-ci ont réalisé ensemble 4000 entretiens pour environ 3200 personnes ou familles, principalement dans les Maisons de la Justice et du Droit dans les départements 78 et 92, et à Paris notamment dans les services sociaux de la DASES et du CASVP. Depuis leur création respectivement en 2003 et en 2007, ces deux associations ont assuré environ 12000 entretiens.

Impacts de l’initiative

Certains participants s’engagent dans ce dispositif de formation avec une grande énergie, en sont très satisfaits et font un réel travail de transformation en matière de gestion de leur budget, de relation avec leur banque et d’habitudes de consommation. D’autres font de réels efforts, semblent progresser mais, parfois sous le coup d’un nouvel accident de la vie, retombent dans leurs difficultés antérieures et abandonnent, au moins provisoirement : remplacer une absence de gestion du budget par des pratiques plus explicites et plus rigoureuses nécessite en effet une démarche longue et dont les résultats sont fragiles. Pour que cette démarche porte ses fruits, l’environnement (familial, professionnel etc.) doit être favorable, et la volonté de réussir importante.

Ce dispositif éducatif répond à un réel et important besoin de la société, et plus particulièrement des catégories de personnes financièrement fragiles et en danger de surendettement. Notre projet est donc de le diffuser largement au-delà de notre action propre en région Ile-de-France (cf. infra)

L’organisation

• Vie de l’association

o 55 bénévoles et 135 membres adhérents en 2011

o Cinq salariés

o Activité intense de formation interne des bénévoles et des salariés

• Partenariats avec de nombreuses collectivités territoriales en Île-de-France, et notamment avec la Mairie de Paris, avec les Maisons de la Justice et du Droit, avec les Points d’Accès au Droit et avec une douzaine d’institutions engagées dans le travail social.

La structure, porteuse de l’initiative

Nos projets

o Apporter un service de conseil financier et juridique aux personnes surendettées ou financièrement fragiles sur l’ensemble de la Région Île-de-France

o Développer des partenariats avec diverses institutions publiques ou privées

o Développer significativement notre action de prévention du surendettement par l’éducation budgétaire et bancaire

• En Île-de-France à travers notre action propre ou grâce à des partenariats à mettre en place localement

• Sur l’ensemble du territoire français, par une action multiforme en faveur de la mise en place de politiques publiques favorables à la lutte contre l’illettrisme de l’argent

Les acteurs (Qui ?)

L’ASSOCIATION CRESUS ÎLE-DE-FRANCE PARIS

• Elle résulte de la fusion, le 29 avril 2011, de deux associations voisines, Crésus Île-de-France et Crésus Paris.

Les jeunes

• Place des jeunes dans le projet

Les jeunes ne participent pas directement aux activités d’éducation budgétaire, mais ils sont concernés au moins à deux titres :

o Lorsque Crésus aide leurs parents à déposer un dossier de surendettement, ils bénéficient des retombées psychologiques bienfaisantes pour l’ensemble de la famille liées à la protection qu’apporte la loi aux personnes surendettées

o L’apprentissage de leurs parents en matière d’éducation budgétaire est en général transmis aux enfants : ceux-ci en profitent en effet immédiatement, même si c’est à l’occasion d’un relatif « serrage de vis » budgétaire qui les remet en contact avec l’obligation de ne pas gaspiller, et de ne pas dépenser plus que les ressources régulières.

Message à l’opinion

L’argent a pris une place centrale dans nos sociétés marchandes, et il est indispensable pour chacun de savoir le manipuler et le compter. Ceux qui n’en ont pas une maîtrise suffisante sont comme un commandant de navire qui n’aurait ni carte, ni boussole, ni météo, ni d’instrument pour connaître sa position géographique, ou encore pour mesurer la hauteur d’eau sous la coque etc. : le risque d’accident à la première tempête est évident !

Message à ceux qui font l’ESS

Sociale et solidaire, l’économie doit assurément l’être. Mais nous devons rappeler que le mot « économie » vient du grec oïkos nomos qui signifie « la loi de la maison », et « l’art d’administrer un domaine ». A l’origine, l’économie était donc d’abord domestique et familiale. Selon nous, mettre en œuvre une économie sociale et solidaire passe d’abord par le fait de partager avec ceux qui en sont dépourvus ce savoir élémentaire qui consiste à savoir gérer son budget familial et ses affaires d’argent, afin de ne pas être la victime des prédateurs et… de son propre aveuglement.

Proposition pour influencer les décideurs

Les facteurs de réussite d’un tel projet sont les suivants

• Que des dirigeants politiques nationaux et ceux des grandes collectivités territoriales en comprennent les enjeux d’intérêt public, le soutiennent et en favorisent l’expérimentation

• Que des responsables de grandes associations et fédérations d’association, notamment des associations d’éducation populaire et d’associations de consommateurs, des dirigeants d’entreprise et d’institutions s’intéressent au projet et se l’approprient

• Que le concept d’illettrisme de l’argent, et la réalité sociale qu’il recouvre, fassent l’objet de recherches de la part de psychologues, de sociologues et d’anthropologues dans le cadre de programmes rigoureux

• Que le dispositif pédagogique mis en place par Crésus Île-de-France fasse l’objet d’une évaluation par des experts en pédagogie des adultes et en économie familiale (dans le but d’améliorations et d’extensions)

• Que des politiques publiques soient votées, dans une démarche qui pourrait s’inspirer de celles définies pour la lutte contre l’illettrisme classique

• Que ces politiques permettent des avancées significatives en matière d’apprentissage de la gestion du budget auprès des publics d’adolescents et de jeunes adultes, dans le cadre de l’Education Nationale ou en dehors

• Que la formation continue des travailleurs sociaux mette un accent particulier sur des programmes visant à renforcer leur expertise dans la gestion du budget et les techniques bancaires pour un meilleur accompagnement des usagers en situation précaire

Présentation de l’initiative (Quoi ?)

Crésus Ile-de-France Paris expérimente depuis début 2010 une approche novatrice en matière d’éducation budgétaire et bancaire, en s’adressant aux personnes en surendettement et à celles qui, en général, ont un rapport difficile à l’argent.

Notre programme est constitué de quatre approches complémentaires:

1. Un cycle de formation sur la gestion du budget et de la relation bancaire, qui comporte huit modules et dure quatre mois.

2. Des ateliers d’application, dans lesquels un animateur aide les participants (les « apprenants ») à s’approprier les contenus de la séance précédente du cycle de formation en répondant à leurs questions concrètes (par exemple comment enregistrer l’ensemble de ses rentrées et de ses dépenses d’argent ? Comment calculer son « reste à vivre » mensuel ou encore faire des prévisions budgétaires ? Comment lire un relevé de compte bancaire, faire son rapprochement bancaire, déchiffrer un contrat de crédit etc.)

3. Des groupes de parole sur l’argent, dont l’objet est de permettre aux participants d’exprimer tout ce qu’ils ont à dire à propos de l’argent et de leur rapport à l’argent (dans une optique qui n’est pas très éloignée de celle des « alcooliques anonymes »). Cette parole libérée permet aux participants de partager leur vécu et leurs questions dans un domaine souvent tabou, de constater qu’ils ne sont pas seuls à affronter des difficultés financières, de s’encourager mutuellement dans leur démarche et… d’imaginer eux-mêmes certaines solutions à y apporter.

4. Des groupes de consultation solidaire sur l’argent, qui permettent aux participants de travailler ensemble, de manière approfondie, sur un cas particulier de difficulté financière vécue par l’un d’entre eux et de chercher à y trouver des solutions concrètes. Cette dimension d’entraide joue un rôle central dans les processus de formation et de redressement budgétaire.

En 2010, notre dispositif d’éducation budgétaire et bancaire a touché au total 71 personnes. Il se développe de manière significative en 2011.

Plusieurs caractéristiques de ce dispositif éducatif sont novatrices :

• Il est conçu pour accueillir les personnes surendettées et/ou financièrement fragiles et incompétentes

• Il dépasse le seul objectif de transmission d’un savoir technique en offrant un accompagnement social personnalisé à des apprenants dont le projet est de transformer en profondeur leur relation intime à l’argent et d’acquérir un comportement plus raisonné en matière de consommation.

• Il utilise des savoirs et des méthodes pédagogiques différentes et complémentaires : la dynamique des groupes, l’analyse psycho- et sociologique, les techniques de gestion budgétaire, la connaissance du système et des techniques bancaires

• Il fonctionne dans la durée (en général plusieurs mois), car il serait illusoire de prétendre former quelqu’un en quelques heures, voire en deux ou trois jours

• Il donne une large place à la parole des apprenants, car c’est à travers cette expression que ceux-ci enclenchent un processus d’apprentissage réel

Synthèse de mon indignation en une seule phrase

“L’ILLETTRISME DE L’ARGENT FAVORISE LA PRÉCARITÉ FINANCIÈRE, LE SURENDETTEMENT ET L’EXCLUSION BANCAIRE ”.

Témoignages

• Témoignages

o « J’ai fait l’exercice de faire mon budget, j’étais obligé de restreindre mes dépenses. Ca me fait plutôt du bien, ce n’est pas angoissant. J’ai envie de maîtriser mon rapport à l’argent, de bien vivre avec assez peu d’argent. »

o « C’est bien de mettre son nez dans ses relevés bancaires. Avant, je ne le faisais pas. Je paniquais à voir la liste des dépenses. Et je ne savais pas quoi en faire. Là, j’ai tous les relevés de mes dépenses jusqu’en septembre. Je vais bientôt avoir octobre. Mes dépenses commencent à diminuer. J’arrive à réduire. »

o « Je suis un panier percé. Maintenant, je remets de l’ordre dans ma vie. Ca va beaucoup plus loin que seulement les questions d’argent. Les problèmes avec l’argent, ça correspond avec les nœuds de notre vie. »

o « Pendant les vacances, j’ai mis de l’ordre dans mes comptes, maintenant il me reste à mettre de l’ordre dans mes désirs et dans mes achats »