Cahier de l’entrée Financer / épargner
Les banques ont un pouvoir énorme: celui d’accorder des crédits, à des taux plus ou moins supportables, et ainsi de permettre ou non la réalisation des projets des différents acteurs de la société, à tous les niveaux. On a vu par exemple ces dernières années comment les restrictions de crédits aux entreprises ont pénalisé l’économie réelle et l’emploi. Les grandes banques instrumentalisent même les dettes publiques pour imposer partout en Europe des politiques néolibérales d’austérité au détriment des services publics, des protections sociales…, mais aussi des plans d’investissements indispensables dans les économies d’énergie, dans la reconversion écologiques de nos modes de vie et de production…
Les groupes bancaires ont maintenant acquis des tailles tellement importantes que leur faillite pourrait causer un effondrement du système économique mondial, ce qui a obligé les Etats à fortement s’endetter pour les secourir. Ceci ne les empêche nullement une fois rétablis de se relancer dans la spéculation et les prises de risques.
Les grandes banques ont donc en leurs mains des biens communs essentiels au bon fonctionnement des sociétés (le système de crédit, la stabilité économique mondiale). Or leurs comportements souvent prédateurs et irresponsables, essentiellement guidés par le profit à court terme, est évidemment antinomique avec la gestion de biens communs qui nécessite de privilégier l’intérêt général sur le long terme.
En avril dernier, Attac et ses partenaires lançaient la campagne « A nous les banques ». Notre objectif est d’interpeller les banques sur leurs pratiques sociales et environnementales, pour les inciter à se remettre au service de la société. Nous avons lancé deux initiatives significatives dans ce sens :
La première est une « évaluation citoyenne des banques » : un questionnaire disponible sur notre site (www.france.attac.org/evaluer-les-banques), relayé par nos comités locaux, a été envoyé aux principales banques françaises.
La seconde est le lancement de Finance Watch, aux côtés de 30 associations et ONG européennes, avec pour objectifs : un travail d’expertise sur les questions financière ; une mission de lobbying auprès des instances européennes pour contrer le travail d’influence des banques sur nos politiques ; un travail de communication auprès du grand public pour porter dans la société le débat sur la finance (Voir www.liberation.fr/economie/01012330685-finance-watch-sera-un-cont...)
En tant qu’acteur du mouvement social, nous pensons que le changement doit venir des citoyens. En faisant transparence sur les pratiques des banques, nous pourrons d’une part nous orienter vers l’offre bancaire la plus responsable, en adoptant la devise « je change ma banque, ou je change de banque ». Ainsi l’ensemble des banques seront poussées à se remettre en question : les banques mutualistes seront incitées à davantage de cohérence avec leurs valeurs initiales, les banques privées et publiques à intégrer des critères d’utilité sociale et environnementale à leurs politiques… Nous pourrons d’autre part inciter les politiques à mettre en place une véritable régulation du système bancaire, contrairement aux déclarations d’intention proférées lors de chaque G20. Celle-ci passera notamment par l’instauration d’un contrôle public sur les banques, en vue de leur socialisation.
Attac France et Les Amis de la Terre France
Réappropriez-vous les banques et devenez acteur du changement que vous souhaitez, en commençant par exemple par vous interroger sur ce que votre banque fait de votre argent !
Libérez les peuples de la finance en prenant d’urgence les mesures législatives nécessaires à la régulation du système financier et à sa réorientation vers la satisfaction des besoins sociaux et la restauration des équilibres environnementaux !
Aux banques mutualistes : participez à ce processus de socialisation en vous recentrant
– sur vos valeurs initiales, remises à l’honneur par des formations spécifiques auprès des sociétaires, des salariés et tout particulièrement des cadres et des conseillers financiers
– sur vos activités de banque de dépôt. Abandonnez les activités spéculatives, les financements internationaux de projets controversés ou risqués etc. qui vont à l’encontre de l’intérêt commun.
Notre campagne passe par un travail d’éducation populaire auprès des citoyens :
– dénonciation pédagogique des pratiques des banques et de la soumission volontaire des gouvernements: spéculation déchaînée, bonus et dividendes record, paradis fiscaux florissants, imposture des « régulations » promises par les gouvernements et le G20… ;
– réalisation d’actions symboliques devant ou dans les banques, pour marquer les esprits ;
– information citoyenne sur les alternatives que sont la finance solidaire et les banques éthiques et responsables, par des réunions d’information pour lesquelles des supports sont en cours d’élaboration (livret, diaporama, quizz…).
Le Crédit coopératif est la banque des coopératives, des Scop, des mutuelles, des comités d’entreprise et des associations, ainsi que des particuliers qui souhaitent donner un sens à leur argent. Cette banque coopérative a vocation à soutenir les acteurs d’une économie responsable, respectueuse des personnes et de leur environnement et a un rôle clé dans le développement de l’Economie sociale et solidaire. C’est la banque de dépôt qui propose le plus grand nombre de produits d’épargne solidaire. En particulier, il a beaucoup développé les livrets solidaires qui permettent le reversement d’une partie des intérêts perçus à des associations partenaires ou bien l’utilisation par des financeurs solidaires tel que la NEF ou la Caisse solidaire du Nord-Pas-de-Calais de 90% des fonds collectés.
C’est une banque de dépôt offrant tous les services classiques. Elle fait maintenant partie du groupe BPCE, qui regroupe les Caisses d’épargne et les Banques populaires mais aussi Natixis, leur filiale controversée de placement et investissement. Cependant le Crédit coopératif reste autonome quant à ses décisions d’investissement, ceux-ci étant gérés en grande partie selon les critères de l’investissement responsable ; même si la transparence des financements accordés n’est pas assurée.
La coopérative de finance solidaire la NEF est un établissement financier permettant de placer son épargne et de souscrire des crédits de manière éthique, solidaire et responsable. L’ensemble des fonds disponibles est utilisé pour soutenir et financer des projets ayant une utilité sur le plan social, environnemental ou culturel, avec la possibilité de privilégier tel ou tel secteur selon le compte à terme choisi.
La NEF est en pleine croissance avec une augmentation régulière du volume des fonds placés et du nombre de ses sociétaires (24.500 en 2009, avec une augmentation de 12% de leur nombre cette année-la). La transparence sur l’utilisation des fonds est assurée par la publication annuelle de la liste des crédits accordés et de leurs bénéficiaires. Les sociétaires peuvent par ailleurs participer aux assemblées générales annuelles et voter selon le principe coopératif 1 personne = 1 voix, quelque soit le nombre de parts détenues.
Le compte-chèque NEF-Crédit coopératif permet de bénéficier des avantages des 2 structures: une gamme très étendue de produits solidaires, la transparence des financements accordés par la NEF, l’offre complète des services bancaires du Crédit coopératif, la participation aux assemblées générales…
Ces banques ont leur équivalent dans les autres pays européens et d’autres pays du monde, et des projets de regroupement se font jour, tel que le projet de Banque Ethique Européenne porté par la NEF et des banques éthiques d’Italie, d’Espagne, de Belgique, d’Allemagne…
Bien qu’essentiels pour le financement de l’Economie sociale et solidaire, leur champ d’action est toutefois encore limité au niveau de l’économie dans son ensemble. Mais ces établissements sont la preuve que financer des projets en respectant l’intérêt commun et en assurant un fonctionnement démocratique est possible, efficace économiquement et rencontre une adhésion de plus en plus grande parmi les citoyens.
Comment parvenir à ce qu’une offre bancaire respectant de tels critères soit disponible sur tout le territoire et de manière plus significative sur le plan économique ?
Par la nationalisation de banques existantes ?
Face aux graves difficultés des banques en 2008, certains gouvernements ont fait le choix de devenir l’actionnaire principal de certaines d’entre elles, ce qui constitue une nationalisation partielle de fait: cela a été le cas en Irlande, en Islande, mais aussi dans des pays plus importants tels que l’Angleterre ou l’Allemagne… De la même façon, l’État français devrait assumer de devenir majoritaire dans le capital des banques en difficulté lors de la prochaine crise bancaire et d’intervenir activement dans leur gouvernance.
Mais est-ce suffisant ?
De telles nationalisations de banques privées ont déjà été réalisées en France après la seconde guerre mondiale puis en 1982 par F. Mitterrand, ce qui a permis à celles-ci de se restructurer dans l’intérêt général. Par contre, cela n’a pas évité de graves erreurs de gestion, en particulier par le Crédit Lyonnais dont les stratégies d’investissement risquées ont conduit à des pertes financières gigantesques. La nationalisation ne suffit donc pas à éviter les comportements spéculatifs et irresponsables.
La Banque postale est actuellement la seule banque de dépôt publique française. Contrairement à l’ex-Crédit lyonnais et à tous des groupes bancaires français actuels, c’est aussi la seule à ne pas exercer aussi des activités de banque de financement et d’investissement, d’où des pratiques financières bien moins risquées. C’est aussi la seule à assurer la mission de service public d’accessibilité bancaire en permettant à tous l’ouverture gratuite d’un livret A, avec virements et retraits possibles sans frais, même sans compte courant, et ce sur l’ensemble du territoire grâce aux 17.000 bureaux de poste. Par contre, en dehors du Livret A qui permet le financement à taux réduits du logement social, son offre de placements solidaires proprement dits est très réduite et ses conseillers tendent plutôt ces dernières années à faire souscrire des assurances-vie en actions. D’autre part, elle ne permet aucune participation démocratique de ses usagers et n’assure pas la transparence des projets financés.
Vers une socialisation des banques
Une gestion publique ne suffisant donc pas, il est nécessaire d’aller vers une socialisation des banques comme alternative aux banques privées mais aussi au contrôle étatique par le haut. Elle suppose un réel contrôle démocratique des banques, une participation active des citoyens, des usagers et des salariés à leur gestion et une transparence effective de leurs activités.
Des banques socialisées existent en France: ce sont les banques mutualistes. Elles ont été créées au 19e siècle pour répondre aux besoins de groupes professionnels qui n’avaient pas accès au crédit. L’association au sein d’un groupe coopératif permettait de garantir collectivement les prêts individuels. L’esprit mutualiste de départ regroupe des principes de transparence, de solidarité, de non lucrativité ainsi que de démocratie de type coopératif: élection du conseil d’administration des caisses locales selon le principe 1 personne, 1 voix , quel que soit le nombre de parts sociales possédées par les clients ou les salariés (1 part suffit). Chaque caisse locale est elle-même sociétaire de la caisse régionale qui est elle-même actionnaire de la caisse nationale.
Mais au fil du temps et de l’accroissement de la taille de ces banques, le pouvoir des sociétaires sur le fonctionnement et les prises de décision s’est affaibli face à celui des caisses nationales. Celles-ci gèrent maintenant des groupes de plus en plus importants et possèdent en particulier des filiales de placement et financement pratiquant des investissements internationaux controversés ou spéculatifs. Ceux-ci peuvent être particulièrement risqués, au point de mettre la banque mère en grave difficulté, comme cela a été le cas avec Natixis pour la Caisse d’Epargne lors de la dernière crise financière..
Comment contrecarrer ce dévoiement de l’esprit mutualiste de départ et re-socialiser ces banques mutualistes? L’enjeu est de taille puisqu’elles représentent 60% du marché des banques de détail françaises!
Redynamiser la démocratie interne des banques mutualistes et coopératives est une nécessité, reconnue y compris au niveau de certaines directions : « aujourd’hui pour des tas de raison d’ordre institutionnel, nos assemblées générales sont devenues comme les assemblées générales de n’importe quelle société ou entreprise. C’est un travail de travaux finis. Il faut aller au-delà » (Jean-Louis Bancel président du Groupe Crédit Coopératif)
Une meilleure organisation des sociétaires au niveau local leur permettrait d’avoir plus de poids dans les prises de décision: le capital des caisses locales appartient en effet aux clients et salariés porteurs de parts sociales. Ils peuvent participer aux assemblées générales et aux votes du conseil d’administration. Les caisses locales sont autonomes et gèrent elles-mêmes leurs budgets. Reprendre le contrôle de ces caisses locales serait donc une étape importante, avec d’ors et déjà des possibilités d’orienter le développement local et au delà d’influencer les prises de décisions aux niveaux supérieurs. (Voir les actions menées dans ce sens par Ap2E Agir pour une économie équitable)
Mais le pouvoir des seuls sociétaires ne garantit pas que la banque va travailler pour le bien commun. Qu’il s’agisse de banques nationalisées, coopératives ou mutualistes, la socialisation signifie que ces formes de propriété non capitalistes sont véritablement mises au service de la société dans sa diversité. Pour cela il faut que les diverses parties intéressées au fonctionnement de chaque banque participent directement aux décisions stratégiques, celles qui concernent les politiques d’attribution de crédit et de détermination des taux d’intérêt. Salariés, sociétaires, usagers (particuliers ou professionnels), associations de défense des exclus, associations écologiques, collectivités territoriales… doivent être associés à la détermination des politiques bancaires, au niveau national, régional et local. Il importe d’établir des règles (non cumul, limitation des mandats dans le temps, pluralisme des candidatures, etc) qui limitent les risques de constitution d’une technocratie mutualiste ou étatique qui confisque le pouvoir des parties prenantes. Dans ce sens le statut de SCIC pourrait être une piste à explorer.
Il est grand temps de repenser le fonctionnement du système bancaire et plus que jamais nécessaire de contraindre les banquiers à travailler pour la société… et non l’inverse. A nous les banques !