Banques et territoires

Cahier de l’entrée Financer / épargner 

Argumentaire

UN POTENTIEL DE CROISSANCE MAL EXPLOITE PAR LES BANQUES

Le crédit et l’expertise bancaire aux petites et moyennes entreprises pourraient être largement mieux mobilisés au service de l’emploi et du développement des territoires métropolitains et ruraux, en particulier pour les territoires qui souffrent d’une problématique de désindustrialisation / reconversion. Ces territoires en effet subissent une triple peine alors qu’elles sont majoritaires en superficie et souvent en population : disparition des services publics, désindustrialisation et rationnement des crédits et services bancaires. Cette discrimination s’amplifie, dés lors que les banques qui collectent l’épargne d’une collectivité l’investissent ailleurs. Le cercle vicieux d’exclusion financière qui en résulte est produit d’abord par l’inadaptation des systèmes et produits des banques ; elle résulte trop souvent des pratiques discriminatoires, non liés à la qualité économique et financière des projets. Rentable sans être productive localement, il mine la liberté d’action, voire l’indépendance des institutions financières de l’économie mutualiste, sociale et solidaire.

Une riche documentation internationale sur le sujet confirme en effet la tendance des systèmes bancaires à « écrémer » les meilleures opportunités de crédit, à se désengager de certains territoires tout en captant leur épargne. Cette exclusion de crédit se chiffre à des dizaines de milliards de dollars par an en crédits TMPE, ce qui correspond a de dizaines de milliers d’emplois sacrifiés avant même d’avoir vu le jour.

Or, malgré d’importantes garanties et subsides que la France fournit à son secteur financier, elle n’exige aucune contrepartie sur la transparence des crédits accordés par ces mêmes banques. Or, cette transparence permettrait d’évaluer les flux d’épargne et autres capitaux vers et hors chaque territoire et donc de mesurer l’impact en désindustrialisation et en pertes d’emploi. Une telle évaluation qualitative de leurs pratiques en faveur de l’économie réelle permettrait enfin aux banques de mieux valoriser le manque à gagner dans chaque territoire.

Le besoin de lumière est urgent. Selon les estimations publiées en décembre 2009 par l’Inspection Générale des Finances, chaque année plus de 200 000 entreprises de moins de 10 salariés arrivent à l’équilibre financier au bout de la troisième année de fonctionnement, mais seulement 11% d’entre elles auront pu s’assurer d’une facilité de crédit bancaire. Les enquêtes ponctuelles de KHNET indiquent qu’elles n’utilisent pas les services « entreprise » des banques, par ailleurs capables de renforcer leur gestion. Dans le domaine du crédit à la consommation les pertes inutiles, générées par le management de dossiers de surendettement représenteraient environ 1, 3 milliard par an pour les banques, soit de l ordre de 1% de l’encours total de ces crédits. Le rapport IGF, comme celui de la Cour de comptes notent l’absence d’une information en provenance des banques qui permettrait de mieux en comprendre les causes.

Nous ne parlons pas ici des populations trop fragilisées ou exclues pour entreprendre sans aide et accompagnement, et qui ont besoin d’un soutien de la puissance publique, mais d’activités, de segments et de territoires à risques marginaux. Aujourd’hui, ils sont un potentiel de croissance, non exploité faute de compétences spécialisées et de l’absence de produits et services adaptés : jeunes, travail temporaire et CDD, certaines TPE et entrepreneurs, minorités, etc. L’offre de services « vert » fournit un exemple, qui lie les importants succès économiques de certains préteurs (10% croissance annuelle) à leurs connaissances du métier et du terrain.

Alors que nous entrons probablement dans une période de croissance limitée dans les années qui viennent en Europe, qui plus est, avec des marchés intérieurs existants mûrs, ce potentiel de développement qui lie le « bottom of the pyramid » et les nouveaux métiers est particulièrement pertinent. Il appelle des innovations, sur la manière de s’informer sur ces clients et leurs besoins, sur l’offre de services financiers à proposer, sur la connaissance des métiers et la gestion du risque, sur le reporting de leurs activités, sur les partenariats avec les acteurs techniques, associatifs et des collectivités capables de contribuer à la valorisation des engagements des banques dans l’économie réelle sur leurs territoires.

Car au-delà de l’intérêt général, il en va de l‘intérêt direct des banques. Elles ont à gagner au développement des métiers et des segments de clients (personnes et entreprises) solvables, qui leur restent inconnus et mal-desservis, par méconnaissance des ressources et besoins, par incompréhension de technologies, métiers et comportements, par inadéquation des systèmes bancaires, par l’inadaptation de l’offre, par idées reçues (territoires fragiles donc forcément non solvables).

Comment sensibiliser d’autres acteurs

Faut-il une loi CRA à la française ? Le secteur ESS et Mutualiste ont tout à gagner d’un engagement en faveur de la mise en place d’une supervision « qualitative » de l’action des banques et établissements de crédit dans l’économie réelle des territoires. Les intérêts de l’économie sociale et solidaire seront servis, que ce contrôle soit réalisée par voie réglementaire (« hard law ») comme le CRA américain , ou par voie stratégique et consensuelle entre les établissements de crédit (« soft law »), mais basée sur la transparence et vérifiable sur chaque territoire.

Cet engagement peut renforcer le Secteur ESS de trois façons :

 Fournir au secteur sa vraie « place à la table » d’élaboration de l’ensemble de politiques de reprise ;

 Créer pour les acteurs de l’ESS de multiples nouvelles opportunités de création d’activités et de partenariats équilibrés, notamment avec les banques privées ;

 Egaliser la situation concurrentielle du secteur ESS.

Changement d’échelle possible

Le moment est propice : Les grands enjeux Européens du 21ème siècle exigent de toutes les banques de l’innovation et un investissement renforcé dans l’économie réelle. Après l’incendie de la crise, notre société aura en effet besoin de banques patientes et responsables pour investir massivement dans les enjeux de notre monde : innovation ; environnement ; ré-industrialisation ; expansion et reprise des projets d’entrepreneurs ; accompagnement et professionnalisation du tissue PME et artisanal ; éducation, cohésion social ; vieillissement. Les institutions ESS ont donc une occasion historique de se placer au cœur des solutions de la crise pour bâtir le « nouveau monde » qui doit émerger. Car la crise démontre que pour être responsable, cette innovation doit être soutenue par une gouvernance plus démocratique quant aux pratiques de l’ensemble des banques.

Facteurs de succès

Un engagement prononcé et solidaire dans l’économie réelle des territoires de la part de toutes les banques et établissements de crédit est une condition nécessaire à la relance des économies des territoires à croissance molle. Il n’est envisageable en France, selon certains, que par une loi. D’autres prônent la « soft law » des accords et engagements interbancaires.

Dans tous les cas, surmonter les résistances de certains et contrôler les pratiques de l’ensemble des réseaux exigent un rapport de force politique et social pérenne.

Les partenaires

Le dispositif CRA inspire le Manifeste du Secours Catholique par exemple.

Message aux décideurs

L’inclusion financière est essentielle dans chaque territoire, car l’opportunité économique et sociale y est indissociable à la démocratie. Une garantie de l’inclusion financière requiert la transparence des actions de chaque banque sur chaque territoire.

Message à ceux qui font l’ESS

Comment les institutions ESS peuvent bénéficier du projet « Innovation bancaire et inclusion sociale ».

Ce projet de coordination et de mobilisation permet de :

Fournir un état des lieux avec une valorisation du potentiel. Validés par les professionnels et les acteurs locaux, les études « Pratiques actuelles et potentielles » permettent de valoriser les marchés et les produits, d’identifier clairement les pratiques et les moyens d’action des différents acteurs économiques et associatifs des territoires. Elles repèrent les freins et les moyens à lever pour bâtir un consensus avec des pratiques possibles et souhaitables.

Développer de partenariats économiques et des réseaux locaux. En regroupant les banques, les petits acteurs économiques, les collectivités et le tissu associatif, ce projet ouvre aux institutions ESS l’accès aux ressources que la réduction de budgets publics met sous menace.

Définir les meilleures pratiques et les mettre en application de manière systémique. Le projet normalise l’évaluation, base de relations pérennes entre le secteur ESS et privé, sur la base de meilleures pratiques et d’expériences locales et internationales. Il propose aux politiques comme aux Directions bancaires les méthodes, moyens et objectifs crédibles car ils sont vérifiables.

Valoriser les solutions et les innovations développées par le secteur ESS. Le leadership ESS, la participation des experts internationaux et la collaboration des banquiers français et étrangers rendront lisibles les méthodes et les acquis ESS en matière bancaire et développement local.

Présentation de l’initiative (Quoi ?)

Pour y parvenir, MOUVES en association avec KHNET ; Le Labo de l’Economie Sociale et Solidaire ; le Forum Modernité et le Secours Catholique réunit un groupe de coordination, associant de multiples initiatives des acteurs bancaires, associatifs, élus et experts.

Certains prévoient une approche législative, d’autres se penchent en faveur d’un approche par autorégulation. Il regroupe à dimension variable tous les acteurs publics et privés qui se retrouvent dans ce débat et souhaitent le porter : Banques, élus nationaux et locaux et leurs Associations ; acteurs du développement local, associations professionnelles et celles de consommateurs, acteurs européens, réseaux associatifs, économistes.

L’objectif de tous est de changer l’échelle de l’action des banques et des établissements de crédit de manière responsable pour servir équitablement les besoins de crédit et de services dans toutes les territoires.

Quelles alliances positives ?

Le Projet « Banques et territoires » : réunit déjà les actions pratiques, centrées sur les points forts de Economie Sociale et Solidaire

En 2010 lors de la Conférence NCRC à Washington, Patrick Mosman du Secours Catholique nous a rejoints avec Denis pour confirmer l’importance de l’engagement bancaire autour du CRA (de dizaines de milliards de dollars de crédit et de services par an) ainsi que de la protection qu’elle a fourni aux banques réglementées contre les « subprimes » et le détournement du microcrédit pratiqués par les établissements non-réglementés ; cette participation a informé les itérations subséquentes du texte du Manifeste.

En fin février 2011 le PS a déposé une proposition de loi « Bouclier rurale » dont le chapitre 6 sur la transparence des banques sur les territoires prend comme modèle le dispositif CRA.

La proposition de loi marque bien une évolution importante. En effet, elle n’est pas réductible au caritatif. Elle postule la transparence bancaire sur les territoires pour réduire l’exclusion systémique (outils de scoring, produits, marketing inadaptés), améliorer la supervision et le dialogue avec les banques et changer l’échelle de l’action des banques en faveur de la croissance durable. Elle recherche la croissance et l’emploi des territoires par un meilleur emploi de l’épargne de la part de toutes les banques.

L’approche territoriale permet d’accueillir le soutien de nouveaux acteurs tels les entreprises et les Elus préoccupés par le chômage. C’est dans ce sens que nous avons donc un engagement pour le financement et le pilotage d’une étude pour valoriser ce potentiel de croissance dans 2 régions, exprimé en crédits bancaires, en croissance d’activité et en emplois. On se trouve donc en mode plus rapide, autour de quatre projets portés par divers acteurs :

1. Le Manifeste du Secours Catholique (Proposition visant une loi cadre, fonds d’incitation et institut chargé de certification)

2. La proposition de Loi « Bouclier rural » du PS. (Proposition de loi de transparence bancaire au niveau du Canton : épargne et crédit)

3. Une étude pour valoriser le potentiel économique et en emploi d’un réengagement bancaire dans les territoires.

4. Le MOUVES propose d’assurer l’animation du comite de coordination lancée par Claude Alphandéry et le Labo ESS en 2010 qui regroupe l’ensemble des acteurs parties prenantes dont banques, ESS, acteurs publics et Elus.

Synthèse de mon indignation en une seule phrase

Un manque de transparence bancaire ainsi que l’absence d’une pratique responsable d’égalité territoriale dans l’offre de services et de crédit, pénalise la croissance et l’emploi dans de nombreux territoires français. L’exclusion est systémique : elle n’est pas soutenable économiquement et socialement, mais elle est rentable à court-terme. Ainsi un établissement, ni même l’ensemble du secteur mutualiste ne peut le contrer seul. L’Etat ne dispose pas des moyens pour intervenir à la place des banques, mais il peut et doit améliorer leur fonctionnement.

Pour certains, une loi sur la transparence et l’égalité de service sur chaque territoire semble nécessaire pour instrumenter et optimiser la dynamique économique entre entreprises, banques, associations et élus. D’autres préconise la « soft law » de transparence sur la base du volontariat et de l’autorégulation.