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De la privation de vacances, constat et indignation :
On entend de façon récurrente le fait qu’un nombre significatif de jeunes de 20 ans n’a jamais quitté son quartier ou son canton rural. Si certains ont développés des pratiques urbaines dans leur ville d’origine d’autres sont même mentalement confinées dans des espaces plus restreints. Traditionnellement le service militaire était l’occasion pour les jeunes garçons d’aller voir ailleurs… et de découvrir l’au-delà du canton.
Par ailleurs nous sommes aujourd’hui dans une économie monde qui implique échanges et mobilité. Le livre de Jean Viard « Eloge de la mobilité » rend parfaitement compte de cette société où chacun peut prendre l’avion, la voiture, le train, pour aller travailler, faire du tourisme, rencontrer de la famille installée à l’autre bout du monde etc… Aujourd’hui l’écologie et l’économie nous apprennent à penser le monde d’une façon globale.
De nombreuses personnes sont exclues de cette mobilité, jeunes et adultes pour des raisons financières, un exemple parmi d’autres: les familles monoparentales disposent peu souvent d’une voiture selon l’INSEE . D’autres personnes éprouvent des difficultés à se repérer dans l’espace, à s’y projeter, par peur, peur des autres qui semblent tellement différents peur de ressentir de la honte, de l’inadaptation à cet extérieur perçu comme menaçant.
On n’oubliera pas dans ce panorama que de nombreuses personnes, immigrants de la première ou deuxième génération ont des expériences de mobilité très fortes puisqu’une partie de leur vie se structure autour de cette mobilité, il s’agira de prendre en compte cet aspect lors des accompagnements aux vacances.
C’est pourquoi s’intéresser au départ en vacances de ceux qui ne partent jamais peut constituer un enjeu qui dépasse largement la question des vacances et du tourisme.
Jeunes ou moins jeunes, ceux qui ne sont jamais partis ont besoin d’une aide financière pour concrétiser un projet mais ils ont surtout besoin d’un regard bienveillant sur leur difficulté à appréhender les mobilités et de soutiens précis pour élaborer un projet de départ en vacances.
Pour les publics qui rencontrent des difficultés financières ou sociales, pour les intervenants sociaux qui sont souvent sous la pression de l’urgence, la question des vacances apparaît trop souvent comme accessoire.
C’est pourquoi bien souvent il faut convaincre :
les personnes concernées que les vacances peuvent être une bonne idée,
les intervenants sociaux qu’ils ne perdent pas leur temps en soutenant un projet de vacances,
les élus et les financeurs qu’il s’agit d’une façon ludique certes, mais efficace de prendre en compte la question de la mobilité et qu’il en résultera des répercussions en matière d’emploi, de citoyenneté etc…
les bénévoles eux-mêmes qu’il peut être intéressant au sein de l’urgence ressentie et partagée de faire une pause et de s’intéresser à ce qui apparaît comme l’accessoire.
La mobilité c’est aller d’un point à un autre, mais c’est aussi ce qui ouvre la porte à la rencontre, rencontrer d’autres personnes que celles que l’on côtoie quotidiennement, comprendre d’autres modes de pensée, la mobilité spatiale est en relation directe avec des formes de compréhension du monde et une mobilité mentale qui est aujourd’hui nécessaire à tous.
A cet égard le texte de la loi de lutte contre les exclusions de 1998 est significatif :
L’égal accès de tous, tout au long de la vie, à la culture, à la pratique sportive, aux vacances et aux loisirs constitue un objectif national. Il permet de garantir l’exercice effectif de la citoyenneté.
La citoyenneté se forge aussi dans la mobilité et la rencontre
Des solutions innovantes existent
a. Aller à la rencontre des publics potentiels :
Comme nous l’avons vu cela suppose d’aller au-devant des publics concernés qui sont peu ou pas demandeurs et de susciter chez ces personnes l’envie de partir et la détermination pour élaborer leur projet de vacances.
Pour ce faire la proximité est nécessaire c’est pourquoi tout effort de coordination entre les intervenants de terrain et la capacité de chaque intervenant de terrain a proposer une palette de solutions est importante.
b. Proposer des séjours à prix doux :
Les intervenants du tourisme non lucratif souhaitent mieux atteindre ces publics qui ne demandent pas ou plus de vacances. Aujourd’hui trop de sites de vacances associatifs ferment, la difficulté qu’il y a à communiquer une offre non lucrative vers des publics très dépendants des grands médias de communication est forte. Améliorer l’interface entre une demande de vacances à prix doux et une offre parfois mal communiquée constitue alors une priorité ;
Enfin ces mêmes associations de tourisme mettent en œuvre des tarifications au quotient familial ou consentent souvent des rabais très importants pour achever de remplir leurs équipements. Il s’agit de permettre à ceux qui en ont le plus besoin et sont trop souvent en dehors de ces offres faute d’accès à internet ou de connaissance des modalités de fonctionnement de s’en emparer.
c. Proposer des accueils sur site qui mixent salariat et bénévolat :
Lors d’un premier départ des besoins d’accompagnement sur site peuvent être nécessaires, si certains départs sont accompagnés par des professionnels, la majorité d’entre eux est accompagné par des bénévoles soit des bénévoles qui appartiennent aux structures de départ soit des bénévoles qui animent les structures d’accueil comme dans l’association vacances et Familles.
d. Travailler avec les inters Comités d’Entreprise :
Les associations qui les représentent sont aujourd’hui désireuses d’une part de mieux diffuser diverses actions de solidarité déjà menées mais aussi de renforcer les partenariats locaux qu’ils mènent avec des associations d’insertion.
e. Ouvrir des Espaces Vacances, Aides au Départ, EVAD,
tel est le sigle de ces partenariats locaux qui ont pour objet de repérer les intervenants locaux sur l’aide aux vacances, de les relier entre eux et d’améliorer ainsi la capacité de tous à aller rencontrer les publics qui ne partent pas ou plus en vacances. C’est dans ce cadre que des réseaux locaux voient actuellement le jour.
Ces espaces sont bien au cœur de ce qui constitue l’économie sociale et solidaire puisqu’ils sont animés par des salariés et des bénévoles qui s’engagent au côté des personnes en situation d’exclusion pour construire avec elles leur projet de vacances.
f. Assurer une veille sur le repérage de publics qui sont en situation de ne pas partir ou de ne plus partir pour lancer de nouveaux soutiens au départ.
A titre d’exemple on peut citer le programme mis en place depuis 5 ans par Vacances Ouvertes à destination des aidants de personnes âgées. En effet, enfants, conjoints ou autres membres de la famille, nombreuses sont actuellement les personnes qui assurent au quotidien une intervention auprès d’une personne âgée en perte d’autonomie. Ces « aidants » sont peu ou mal repérés et souvent ne se décrivent même pas comme tel. Or des études épidémiologiques ont montré que ces personnes au fil du temps peuvent voir leur santé se dégrader et risquent l’épuisement tant physique que psychique. Soutenir ces publics dans leur recherche de vacances, prévoir des solutions de remplacement ou d’accueil spécifique en vacances, donner une légitimité à leur besoin de repos et de « décrochage ». Aujourd’hui des caisses de retraite, des groupes d’assurance s’intéressent à ces demandes peu ou mal exprimées qui mérite néanmoins d’être prises en compte .
Des associations se sont engagées :
Associations de lutte contre les exclusions, notamment ATD Quart Monde, les Restos du Cœur, le Secours Catholique, le Secours Populaire …
Deux associations dédiées au départ en vacances des publics fragiles : Vacances Ouvertes depuis 20 ans et Vacances et Familles depuis 30 ans mobilisent pour permettre à ceux qui ne partent pas de pouvoir eux aussi bénéficier d’un temps de vacances.
Association du tourisme non lucratif, regroupées au sein de l’UNAT, qui mettent en place des tarifications prenant en compte les quotients familiaux, qui proposent des séjours à prix cassés dans les réseaux sociaux etc…
Ces intervenants se sont regroupés et coordonnés au fil du temps au sein de et depuis 2 ans au sein de la commission « solidarité sociale » de l’UNAT
Des résultats sont observés :
Les intervenants financiers principaux sont les CAF, l’ANCV (Agence Nationale du Chèque Vacances) ainsi que les collectivités locales.
L’analyse qualitative de l’impact des départs sur les publics concernés est impressionnante : la préparation du séjour, les peurs et inquiétudes vaincues, renforcent l’estime de soi et la confiance que peuvent avoir ces jeunes et ces adultes dans leur capacité. Capacités d’autonomie pour les jeunes, capacités à apporter des temps positifs, ludiques et structurants dans la vie familiale.
Cet impact des séjours préparés avec les partants mérite d’être mieux mis en lumière auprès des intervenants sociaux, salariés ou bénévoles qui interviennent sous la pression de l’urgence.
Des structures adhérentes de l’UNAT ont réalisés des fiches présentant leurs initiatives et les enjeux sur lesquels elles travaillent.
Retrouvez ces fiches en pièces attachées
32% de nos concitoyens n’ont pas les moyens de s’offrir annuellement une semaine de vacances.