L’ESS, des valeurs et une stratégie pour une autre politique de la ville

Cahier de l’entrée Participer / Démocratiser    

Argumentaire

Alors que le dernier Rapport de l’Observatoire National des Zones Urbaines Sensibles note l’accroissement ou le maintien des inégalités entre les ZUS et le reste des villes concernées, le budget de l’Etat pour la Politique de la ville devrait passer de 700 Millions d’euros en 2010 à 559 Millions en 2013. Le volet « Revitalisation économique et emploi » diminue de 18.6% entre 2011 et 2010, le volet Renouvellement urbain est divisé par deux , alors que le taux de chômage est sans commune mesure dans les ZUS, tout particulièrement pour les jeunes : 41.7% pour les jeunes hommes, 29.6% pour les jeunes filles .

Des moyens considérables ont été affectés aux Opérations de Renouvellement Urbain (ORU), souvent avec peu de concertations avec les habitants, et en ne s’intéressant qu’à l’habitat, sans aborder l’ensemble des problématiques de vie des habitants.

Si de nombreux dispositifs services des collectivités territoriales (villes, agglomérations, conseils généraux notamment) sans oublier la CAF… interviennent sur les quartiers, chacun le fait isolément, voulant répondre à un aspect précis des besoins, sans structuration d’une stratégie globale et efficace de politique de la ville.

Les dispositifs sont souvent construits en partant des manques des populations des quartiers : manque de travail, manque de formation, manque de revenus… et trop peu par les potentiels : créativités, attentes, solidarités…

Dans la plupart des cas, les politiques de la ville sont construites de manière descendante, négligeant l’expertise des habitants, qui peuvent participer au diagnostic des besoins, des réponses à apporter et des ressources disponibles. Les habitants ne sont en général pas considérés comme « responsables » voire « capables », alors qu’une intégration et une valorisation des potentiels des quartiers serait possible et efficace.

Les politiques d’ESS sont perçues comme étant soit dans le champ de « l’économie de la réparation », d’une « économie pour les pauvres » (insertion…) soit comme une économie de « bobos » (commerce équitable, nouvelles pratiques culturelles…), mais pas suffisamment comme une économie de proximité dans les quartiers pauvres.

Trop souvent, les habitants des quartiers sont désespérés. Or l’ESS est un potentiel d’espérance. Il y a donc des passerelles à créer pour redonner de l’espérance dans les quartiers en s’appuyant sur l’ESS.

Conditions du développement

Pour faciliter le développement de politiques d’ESS et de politiques de la ville concertées, plusieurs leviers pourraient être activés :

Les collectivités doivent se rencontrer à l’échelle régionale ou nationale, pour des échanges de pratiques, envisager des modélisations sur l’articulation des politiques d’ESS et des politiques de la ville. Certaines rencontres peuvent être envisagées uniquement entre collectivités, mais il est important d’enrichir ces réflexions avec la participation d’acteurs des quartiers.

Développer l’ESS dans les quartiers demande de bien les connaître, dans une approche positive.

Dans les années 70, les politiques d’aménagement urbain ont vidé les quartiers des petites entreprises pour les installer dans des zones industrielles, éloignant les habitants des quartiers, et tout particulièrement les femmes, de l’accès à l’emploi. Beaucoup d’entreprises et d’emplois ont ainsi disparu des quartiers par les choix urbanistiques ; il s’agit aujourd’hui de permettre le redéploiement d’activités et d’emplois de proximité. Ainsi, sur Lille, des femmes avec des compétences en petite enfance, ne peuvent trouver de travail, parce que leur logement ne le permet pas. Si des projets immobiliers adaptés se réalisaient, des emplois utiles pourraient émerger. Ce redéploiement peut / doit aussi concerner des installations plus conséquentes (déplacement de services administratifs comme à Dijon).

Trop d’employeurs ont des besoins ponctuels, ne permettant pas de proposer des postes de qualité. Penser en termes de partage du travail, de Groupement d’employeurs, pourrait aider à sécuriser les parcours, à renforcer les contrats de travail et à mutualiser les moyens économiques de coûts évités pour financer des initiatives. L’exemple lillois autour de la médiation montre que ce type de démarche contribue mieux à réduire les tensions que les interventions musclées des agents de sécurité

Changement d’échelle possible

Un changement d’échelle de grande ampleur demande aux acteurs publics (collectivités et Etat) de changer de regards :

 Passer d’une logique d’aide et d’actions d’insertion sociale et professionnelle et de réparation à une politique de reconnaissance, soutien et valorisation des activités d’utilité sociale. Jusqu’ici, on pense l’insertion par l’assistance et l’aide, puis par « la remise au travail », alors qu’il serait possible de développer des formes d’insertion socio-professionnelles qui reconnaissent que les habitants veulent et peuvent se prendre en charge, et devenir réellement acteurs de leur dessein et de leur quartier, en déterminant eux-mêmes leurs besoins et les modalités des réponses, pour peu qu’on réoriente (ou élargisse) les fonds mobilisés pour les insertions

 Mieux articuler les différentes possibilités de soutiens financiers publics : subvention, prestation (facteurs de coûts évités), fonds de garantie … en prenant en compte les déséquilibres existants entre périphérie et centres des villes, pour chercher à les réduire.

 Inclure le droit à la démocratie dans l’économique : le droit à l’initiative économique individuelle et collective (pouvant mixer les deux)

 Sortir d’une observation du développement basée sur le seul PIB, pour prendre en compte d’autres indicateurs de richesses et de bien-être : mesurer l’évolution des liens dans les quartiers, la qualité des relations humaines, la facilitation à vivre dans les quartiers apportés par les nouveaux services développés (garde d’enfants, lieux de rencontres conviviaux…)

 Penser que la Politique de la Ville ne concerne pas que les quartiers. C’est plus globalement une approche pour une Politique territoriale durable à l’échelle de la Ville, voire de l’agglomération :

 Les habitants des quartiers ont aussi des habitudes de déplacement, de rencontres, de vie… en dehors de leur quartier résidentiel. Des actions de politiques de la ville peuvent se dérouler dans des centres villes, pour faciliter cette mobilité, cette appropriation de l’espace, toutes ces initiatives, qui aident à lutter contre l’enfermement des quartiers.

 Nombre de services pensés dans les quartiers pourraient aussi intéresser des habitants des centre villes et autres quartiers résidentiels. Dans une perspective d’asseoir les modèles économiques et de développer les volumes d’heures travaillées, et de conforter des postes professionnels.

 Les innovations sociales et technologiques pensées d’abord pour l’économie classique peuvent aussi concerner les habitants des quartiers et les acteurs de l’ESS, pour peu parfois qu’on adapte les modalités.

Ces différents facteurs sont à prendre en compte non seulement directement par les services ESS des collectivités, mais aussi à appréhender dans les autres services, politique de la ville ou filière, de manière à repenser la manière de construire les partenariats, dans une logique de co-construction et non plus descendante de la collectivité vers les acteurs, les transformant en outils supplétifs de la politique locale.

Facteurs de succès

La réussite de ces innovations dépend de plusieurs facteurs concomitants :

 Un patient travail de mobilisation des habitants des quartiers, pour qu’ils prennent confiance en eux, imaginent des projets individuels et collectifs, créateurs de lien social et de ressources économiques, et pour concrétiser ensuite ces projets. Les dynamiques d’intégration ne se décrètent pas, mais se construisent peu à peu ; et inversement, il s ‘agit une fois que des propositions sont formulées, de voir concrètement comment il est possible d’y répondre.

 S’appuyer sur le dynamisme des femmes, qui ne recherchent pas forcément des plein temps ni des rémunérations élevées, mais pour lesquelles la valorisation par le travail rémunéré est un levier de changement de posture personnel (émancipation) et de dynamisme de territoire (nouveaux services…).

 La volonté des acteurs de l’ESS. Vouloir inventer de nouvelles réponses avec les populations des quartiers. Ouvrir des champs d’expérimentations d’innovations économiques, ou s’appuyer sur les champs d’innovation développés par ailleurs pour les transposer dans les politiques de la ville. Les réalisations montrent la pertinence d’un croisement entre les missions d’acteurs au plus près des habitants (Centres sociaux…) et des acteurs régionaux (CRES, France Active…)

 Un travail en transversalité entre les élus et services des collectivités concernés. Cela se fait soit par relations entre les personnes concernées, soit par une organisation judicieuse des espaces de travail (voisinages de services), à défaut d’organiser les services par pôles de missions pour la population dans sa globalité.

 Une réelle coopération entre les collectivités : ville, agglomération, Conseil général, Conseil régional, Etat, mais aussi la CAF… Les moyens de chacun sont dérisoires par rapport aux enjeux. En même temps, chaque service et chaque institution souhaite être reconnue pour son engagement. Pour optimiser les moyens, il est nécessaire que chaque collectivité agisse de concert avec les autres, chacun apportant sa spécificité dans une co-construction pensée en amont.

 La création d’une culture du projet en commun est indispensable entre collectivités. Cette nouvelle approche demande aussi de désigner un Chef de file pour coordonner, sans forcément devoir apporter l’essentiel des fonds.

L’expérience des Lieux de proximité nantais montre que lorsqu’une activité trouve à peu près son modèle économique, cela libère les propositions de nouvelles initiatives, pour répondre à de vrais besoins du quartier et de ses habitants. Une spirale vertueuse est alors observable.

L’organisation

A la Mairie de Dijon, l’ESS est déjà reconnue comme un élément de la Politique de la ville, par un travail partagé entre les élus et services de l’ESS, de l’emploi, de la culture, de la coopération décentralisée, de l’urbanisme, de la vie associative et de la jeunesse… La proximité géographique des bureaux et bien évidemment les relations interpersonnelles entre les élus facilitent ces passerelles. Les commissions municipales sont aussi l’occasion de penser la transversalité des projets.

A Paris et à Lille, la politique d’ESS est reliée à la politique de l’emploi, ce qui permet des passerelles entre ces deux approches.

A Nantes, le développement de l’ESS dans la Politique de la ville s’articule essentiellement autour des Ecossolies, qui a une mission en ce sens de Nantes Métropole.

La structure, porteuse de l’initiative

Construire une telle politique de la Ville nécessite une autre approche de la politique par les élus et les services. La culture du pouvoir politique est d’une manière générale pensée de manière pyramidale, de l’élu vers l’habitant. Cette manière de penser annihile des possibilités de pouvoir changer des situations concrètement, par une coopération habitants – élus. Les élus et techniciens gagneraient en pouvoir d’action en s’inscrivant davantage dans des dynamiques de partenariat.

L’utilisation des savoir-faire de l’ESS pour les politiques de la ville mériterait non seulement davantage de moyens pour se développer, mais aussi pour être évaluée, en vue de les faire évoluer et de les valoriser. Ce manque de culture de l’évaluation dans les politiques publiques freine des développements potentiels forts. Elle cantonne trop souvent l’ESS à travers quelques « belles réalisations » médiatisées, sans impact pour réellement changer en profondeur les modes d’intervention des collectivités.

Le modèle financier

1- FINANCEMENT TRANSVERSAL

A travers les politiques publiques, les collectivités peuvent financer le lancement des missions d’observation, d’animation et de coordination dans les quartiers.

Les moyens financiers doivent être renforcés pour permettre de financer dans la durée l’utilité sociale de certaines de ces actions, qui ne seront jamais viables seulement par le marché, mais qui permettent d’éviter des coûts de réparation pour la société. Les collectivités rencontrent des limites en la matière : avec des budgets non extensibles, elles sont favorables à financer des expérimentations, mais ne peuvent s’engager sans limite… Entre les questions d’utilité sociale d’une part, et de coût évité d’autre part, des supports d’objectivation des dépenses sont à repenser.

Combiner politique d’ESS et politique de la Ville permet donc de repenser la logique économique elle-même, de sortir de la seule vision financière à court terme. Elle permet de penser et de développer une économie, qui privilégie le social, le solidaire, et prenne en compte l’’Utilité sociétale’’

2- FINANCEMENT DES ACTIVITES

Au-delà de l’accompagnement financier des collectivités pour les initiatives, d’autres modes de financement des actions et de rémunération des acteurs eux-mêmes sont à développer ou imaginer :

Des adaptations juridiques et fiscales sont nécessaires :

 Pour rendre compatible la perception de petits revenus d’activités par les habitants engagés dans des actions collectives de quartier, sans que cela n’ait d’incidence sur leurs prestations sociales. A ce jour, certaines initiatives sont freinées, de crainte que le revenu familial diminue par rapport à une situation de non-travail.

 Pour repenser l’articulation bénévole / salarié, et permettre à des acteurs de dynamiques territoriales collectives de pouvoir en tirer un revenu modeste de leur travail au sein de ces associations, sans remettre en cause leur caractère non lucratif. Il serait donc nécessaire de reconnaître le caractère solidaire de ces initiatives d’utilité sociale, et leur apporter un cadre spécifique.

Par ailleurs, l’introduction de monnaies locales complémentaires peut être un vrai levier pour le financement de ces activités d’échanges humains de proximité. A Lille, un processus de capitalisation d’échanges de services, qui s’appuie sur la dynamique des échanges de savoirs est en réflexion, et pourrait se concrétiser avec l’utilisation d’une monnaie complémentaire.

Les acteurs (Qui ?)

Après avoir accompagné la structuration des acteurs de l’ESS, et financé des expérimentations durant plusieurs années, les élus et techniciens à l’ESS des collectivités ont envisagé avec des acteurs de franchir plusieurs changements d’échelle, pour rendre plus visible les capacités d’action des acteurs de l’ESS, et pour répondre à d’autres préoccupations d’une politique locale.

Pour ce faire, ils ont cherché à mobiliser :

 Les autres élus et services de la collectivité. Ils ont écouté les préoccupations de leur champ d’action, leur ont expliqué ce qu’est l’ESS, et leur ont proposé de prendre en compte les possibilités de réponse des acteurs de l’ESS dans leur politique,

 Les acteurs de l’ESS. En partant de leurs savoir-faire dans leurs actions « habituelles », élus, techniciens et acteurs ont imaginé des réponses innovantes. Les acteurs d’ESS mobilisés sont bien sûr des associations qui agissent déjà localement (Centre Sociaux…). Mais l’apport d’acteurs d’envergure régionale s’avère précieux : CRES, France Active, Pôles d’ESS… Ils peuvent apporter à la fois un regard extérieur, une expertise, et des moyens supplémentaires pour faciliter l’émergence et la réalisation de ces nouveaux projets.

Bien sûr, la mobilisation des habitants des quartiers est essentielle, soit en s’appuyant sur leurs savoir-faire en organisations traditionnelles, soit en sollicitant les acteurs de l’ESS (Centres sociaux dans plusieurs villes, Ecossolies à Nantes…), qui vont faciliter l’émergence d’initiatives.

Les jeunes

Nombre de ces actions sont portées par des femmes. Par exemple, les Lieux collectifs de proximité nantais sont portés par des femmes. Soit parce qu’il s’agit de familles monoparentales, et les femmes doivent trouver un revenu pour leur famille, tout en ayant du temps pour les enfants, soit parce que les femmes sont en recherche de lien social et d’un petit revenu complémentaire pour la famille. Dans l’implication et la créativité de ces femmes, on peut imaginer une transposition de leurs savoir-faire de leurs cultures d’origine. Ces initiatives centrées sur des quartiers populaires, où le leadership des femmes est incontestable, ce qui est rarement le cas ailleurs, alimentent une analyse sociologique.

Message à l’opinion

L’ESS est un moyen de répondre à des besoins dans les quartiers, en s’appuyant sur la mobilisation des habitants. Elle permet d’apporter des réponses économiques et sociales concrètes, respectueuses des personnes, et adaptées au territoire.

Message aux décideurs

Nous avons sur le territoire des acteurs capables d’accompagner la collectivité à la fois pour établir des diagnostics et propositions, et pour mettre en œuvre des réponses, qui s’appuient sur les savoir-faire locaux, sur la capacité des habitants à se mobiliser, et qui génèrent des emplois et des activités de proximité, non délocalisables.

Message à ceux qui font l’ESS

Les politiques de la ville sont un enjeu majeur du vivre ensemble d’ici quelques années, par une multitude de portes d’entrée : emploi, qualité de logement, services à la personne, actions de lien social (médiation, culture, loisirs divers…), mobilité, coopération décentralisée… Sur ces différents thèmes, des acteurs de l’ESS ont des propositions à formuler et des actions à mener, qui renforceront leur impact économique, social et leur visibilité sur le territoire.

Présentation de l’initiative (Quoi ?)

Le Réseau des Territoires pour l’Economie Solidaire réunit environ 70 collectivités (communes et EPCI, départements et régions) engagées dans des politiques d’ESS. Il permet à ses membres d’échanger, de mutualiser autour de leurs pratiques, et de les valoriser.

Plusieurs collectivités ont initié des réflexions et expérimentations d’ESS dans leur Politique de la ville.

Le RTES a souhaité profiter des Etats Généraux de l’ESS pour rédiger une première contribution, fruit de ces réflexions et pratiques, présentée ici sous forme de Cahier d’Espérances. Il pourra servir de point d’appui pour avancer dans la mutualisation des bonnes pratiques, au fur et à mesure du développement des expérimentations.

Depuis quelques années, plusieurs collectivités expérimentent des réponses concrètes aux besoins transversaux des politiques de la ville, avec des acteurs de l’ESS. Trois raisons peuvent expliquer cette proximité d’intérêt et d’approche. La politique de la ville comme les politiques d’ESS :

 peuvent se penser de manière transversale, touchant tous les secteurs de la vie sur la collectivité.

 se pensent dans une forte notion d’ancrage territorial

 sont des espaces politiques propices à soutenir l’innovation socio-économique.

Deux grandes thématiques peuvent être concernées par ces pratiques : permettre l’accès à l’emploi d’une part, et habiter les quartiers d’autre part.

1- L’ESS POUR LA CREATION D’EMPLOIS

Face aux principales difficultés de vie dans les quartiers, la première porte d’entrée des politiques d’ESS dans les quartiers porte sur la création d’emplois.

Plusieurs villes ont renforcé les structures d’insertion par l’activité économique, notamment les Régies de Quartier, voire réfléchissent à une Régie de Ville (Lille). Constatant les difficultés des Régies de quartier sur les métiers traditionnels du bâtiment, concurrencées par des entreprises qui ont cassé les prix, la Mairie de Paris a accompagné la création d’autres activités utiles à la population, comme une bricothèque, où les habitants peuvent emprunter du matériel de bricolage, des services d’accessibilité aux nouvelles technologies (traitement de l’image…)…

Dans le cadre du Plan Départemental d’Insertion, Paris a choisi d’accorder une subvention de 2,5€ à 4€ (selon le type de SIAE) par heure travaillée au titre de l’embauche d’allocataire du RSA-socle, de manière à faciliter le recrutement de personnes loin de l’emploi par les SIAE. Paris a également créé un dispositif « Premières heures », qui permet de proposer quelques heures de travail pour des personnes en très grande précarité et exclusion.

Certaines collectivités lancent des Appels à Projets pour les créateurs d’entreprises solidaires. A Paris, 75 emplois ont été créés de la sorte en 2009, répondant à des besoins non satisfaits dans les quartiers (garde d’enfant, découverte des pratiques artistiques…). Certains de ces projets ont essaimé dans d’autres quartiers, voire d’autres villes. A Dijon, 30 nouveaux projets ont été soutenus financièrement en 2010 (complément de financement de CAE Passerelles), sans compter des actions de communication. Mais plus de la moitié de ces nouveaux projets sont portés par des jeunes au moins de niveau Bac +2.

Les Couveuses d’entreprises et Coopératives d’Activités et d’Emploi, et autres Pôles et structures d’accompagnement de porteurs de projets issus des quartiers, ou proposant des services dans les quartiers, sont aussi encouragées par les collectivités.

A Dijon, ont lieu des « Cafés de l’emploi », où des demandeurs d’emplois issus de quartiers sont invités à rencontrer des employeurs potentiels sur un lieu « neutre » : une péniche, gérée par une SCIC qui porte un projet culturel et d’innovations sociales. Au-delà des emplois pourvus, cela permet aux demandeurs d’emplois de se faire peu à peu un réseau. De leur côté, les entreprises qui recrutent ainsi prennent conscience de leurs a priori concernant les jeunes des quartiers.

Dans le cadre de l’Opération Renouvellement Urbain dans le quartier des Grésilles, Dijon a soutenu l’implantation d’une Coopérative d’Activité et d’Emploi l’Envol, implantés dans des logements désaffectés, réhabilités en locaux professionnels pour les personnes qui se lancent, favorisant la mixité des activités dans le quartier. Plus globalement, le point relais de la Maison de l’Emploi permet un accueil plus convivial qu’en centre-ville, et accueille de nombreuses permanences d’acteurs d’ESS (ADIE, Boutique de Gestion, Bourgogne Active…).

Lille envisage de créer un Centre d’Innovations Sociales en Economie, qui regroupera des acteurs de l’ESS (accompagnement de porteurs de projets et entreprises prestataires) et valorise l’excellence d’ESS, à la jonction d’un quartier sensible et du centre-ville. La métropole lilloise souhaite lancer une expérimentation de développement économique solidaire sur certains quartiers de la politique de la vile, avec le soutien de la Caisse des Dépôts et Consignation. Ainsi l’ORU 2 pourrait être mobilisé pour développer avec la CDC, un programme « Emploi-ville » créateur d’activité économique sur les quartiers. Cette stratégie s’appuie aussi sur les projets des habitants, qui soit déjà travaillent de manière dissimulée, ou qui ont des projets d’activités économiques qu’ils souhaitent expérimenter si on le leur permet dans un cadre salarié. Dans ce contexte, une plate-forme de services à la population pourrait être créée. Une Coopérative d’Activité et d’Emploi pourrait être envisagée pour légaliser et renforcer des activités existantes sur les quartiers, et pour accompagner et salarier des porteurs de projets, qui développeraient des activités.

Nantes Métropole soutient l’émergence de Lieux collectifs de proximité. Dans le quartier du Breil par exemple, l’association Tak Après gère un espace « Chez nous » qui apporte des services variés (laverie, repasserie, traiteur, garde d’enfants, démarches administratives…). Ces services ne sont pas d’abord décidés et mis en œuvre par la Municipalité, mais issus de la réflexion collective d’habitants (essentiellement des femmes, notamment issues de migrations africaines), qui identifient les besoins et cherchent des réponses qui leur correspondent. En partant des besoins et de l’insertion sociale, des formes de rémunérations des prestations se structurent peu à peu. L’enjeu est d’« être citoyen dans sa ville et son quartier ». La collectivité identifie bien ces réponses sociales comme complémentaires des missions de services publics habituelles. Au-delà du service visible rendu, la collectivité constate que lorsque les femmes sont réunies pour leurs activités dans le Lieu de proximité, les incivilités ont tendance à fortement diminuer. Les jeunes savent que les mamans sont là, et exercent leur autorité, par une « surveillance active et sympathique de l’espace ». Mais personne ne sait quantifier cette réalité, et encore moins la financer !

Saint-Etienne Métropole a articulé sa politique de la Ville en utilisant les moyens de l’ESS pour développer sa stratégie de développement économique de pointe. L’agglomération s’est positionnée comme la Cité du Design, et est reconnue « Ville créative Design » par l’UNESCO depuis novembre 2010. Cette politique d’envergure s’articule autour de 3 missions :

 sensibiliser les publics aux réalités et aux usages du design,

 développer l’enseignement supérieur design en Rhône-Alpes,

 développer l’utilisation du design par les acteurs économiques et sociaux.

Face à la raréfaction des financements publics des structures d’insertion par l’activité économique (SIAE), l’agglomération stéphanoise les a accompagnées pour qu’elles s’inscrivent de plein pied dans cette filière d’excellence. Pour cela, elle a articulé une démarche de formation autour des métiers du design pour les salariés en parcours, et développé des marchés de production combinant design, éco conception et aménagement paysager (petites productions très adaptées sur des opérations spécifiques avec compétence forte bois/métal). Deux SIAE se sont regroupées pour répondre à ce marché, l’une possédant la compétence bois, l’autre métal. Elles sont accompagnées par un designer pour la réalisation de 2 prototypes d’abri de jardin pour les jardins familiaux et ouvriers, et de banc pour des parcs publics.

2- L’ESS POUR HABITER AUTREMENT LES QUARTIERS ET LA VILLE

Plusieurs de ces actions autour de l’emploi ont un impact direct sur la manière d’habiter les quartiers. Mais d’autres initiatives ont elles aussi un impact direct essentiel sur les habitants.

La médiation sociale

Sur la Communauté Urbaine de Lille, environ 500 personnes travaillent dans la médiation sociale. Une expérience innovante, menée sur les questions de médiation sociale par l’association Citéo, a fait l’objet d’une évaluation à l’échelle nationale, par France Médiation. Cela permet d’envisager une filière d’excellence en matière de médiation, en diversifiant les actions, au service d’urgence du CHU par exemple.

L’ORU ? Aller plus loin que l’approche technique de l’habitat

Dijon se réjouit que les quartiers soient réellement intégrés à la ville. Les opérations de renouvellement urbain ont fait l’objet d’une bonne concertation, permettant de penser autrement l’habitat et l’activité économique, avec par exemple un Pôle de mutualisation culturel autour de Zutique Production.

Dans le cadre de l’ORU du quartier de Fontaine d’Ouche à Dijon, une Maison de Quartier a porté un projet de jardins partagés, mobilisant une quinzaine de familles.

Pour faire en sorte que des bâtiments non utilisés ne deviennent pas des friches, Lille propose de mettre à disposition de manière précaire des lieux à des acteurs culturels, pour donner de la vie, de l’activité, du lien social dans les quartiers avant que ne se réalisent les projets immobiliers toujours longs.

Face à l’augmentation du prix de l’énergie, la Communauté Urbaine de Lille expérimente des actions autour de la lutte contre la précarité énergétique, pour l’instant avec des actions d’éducation aux économies d’énergie dans l’usage (locataires et habitants). Une seconde phase devrait porter sur les conseils avant travaux (propriétaires et copropriétaires), qui pourrait s’appuyer en partie sur des dispositifs de monnaie complémentaire, facilitant, pour des personnes à faibles ressources, l’accès à la propriété de logements dégradés.

Se rencontrer de manière plus transversale

Nantes Métropole confie une part importante de l’action d’ESS à l’association Ecossolies. Cette association a recruté une personne spécifiquement pour faire le lien entre ESS et politique de la ville. Sénégalaise, cette personne permet le développement d’innovations sociales et de liens sur les quartiers, en reliant des pratiques culturelles des populations d’origines étrangères la réalité nantaise, et construisent de nouvelles formes de coopération décentralisée.

A partir des Lieux collectifs de proximité, Nantes métropole facilite la mise en réseau, la rencontre, pour sortir de leur isolement, et partager leurs questionnements. Cela donne lieu à de nouvelles expressions d’éducation populaire (complémentaire aux autres formes, notamment les Centres sociaux) pour accueillir des habitants d’origines diverses, en liant des actions concrètes avec une dimension économique.

A Dijon, des jeunes à revenus modestes peuvent bénéficier d’une bourse pour le permis de conduire en échange d’un engagement de 70 heures parmi une vingtaine d’associations parties prenantes. Cela permet de faire connaître la vie associative à des jeunes et de vivre une forme de mixité sociale et favorise leur participation à la vie de la cité.

Quelles alliances positives ?

Au sein des collectivités, les services pourraient être organisés non par services trop isolés les uns des autres, mais par pôle de réponses aux besoins des populations, et avec une transversalité entre les pôles de missions et / ou par publics, pour une cohérence globale : logement, emploi salarié, aide à la création d’activité, vie associative, culture…

Les lieux collectifs de proximité pourraient se développer sensiblement si la politique de la ville était abordée de manière transversale, entre les différents intervenants : ville, agglomération, Conseil général, Conseil régional, services de l’Etat (santé, éducation et autres services publics), sans oublier la CAF. Une méthodologie coopérative comme sait le faire l’ESS serait pertinente, en identifiant un Chef de file, qui coordonnerait l’ensemble. Actuellement, aucune collectivité et encore moins service de collectivité n’ose prendre le leadership pour porter d’abord un observatoire puis assurer cette cohérence transverse, craignant devoir apporter l’essentiel des moyens financiers. L’organisation administrative actuelle fait alors que chacun mobilise ses petits moyens à côté des autres, perdant de vue l’intérêt d’un projet global, qui serait pourtant plus mobilisateur pour les habitants des quartiers, et au final très probablement plus économique.

Le développement de telles initiatives d’innovations pour construire des politiques de la ville qui s’appuie sur les savoir-faire de l’ESS et de l’expertise des habitants nécessite le regard extérieur à la fois

 de chercheurs, qui vont aider à modéliser et conceptualiser ce qui se vit,

 de développeurs, qui vont de manière plus concrète envisager le renforcement ou l’essaimage de ces initiatives. Des moyens type DLA ou autres financement d’accompagnement et développement doivent donc être dégagés pour faciliter ces créations d’activités, de liens et d’emploi dans les quartiers et avec les habitants.

Les Entreprises hors ESS ont aussi toute leur place pour développer des actions et emplois dans les quartiers, voire s’y implanter pour être partie prenante d’un projet territorial coopératif. L’ESS n’a pas à vocation à prendre en charge l’intégralité des questions économiques, même si elle a une méthodologie et des valeurs à partager.

Ressources, financements et moyens utilisés

Les collectivités financent une part de l’accompagnement à l’émergence d’actions, des événements et actions de communication. Elles portent également des appels à projet. L’expérience montre que si les montants financiers dégagés sont indispensables, l’aide à la méthodologie de projet, et les actions de valorisation et de communication autour de ces innovations sont elles-aussi nécessaires à la réussite.

Des entreprises participent à certaines actions (transport public à Lille par rapport aux actions de médiation)

L’exemple stéphanois mobilise les ressources des politiques sectorielles, y compris emblématiques, pour soutenir la politique de la ville par une démarche d’ESS.

Mais la plupart des actions développées par des acteurs d’ESS ont besoin de l’engagement financier pérenne des collectivités. La combinaison des différents dispositifs peut être un moyen d’y remédier (complément au CAE Passerelle à Dijon par exemple). Mais cela demande une adaptabilité permanente, du fait des évolutions fréquentes des dispositifs. De plus, cela pose la question de la pérennité du financement-delà du seul démarrage.

Dans les lieux de proximité de Nantes Métropole, ces activités sont rémunérées par les Chèques emploi services ou d’autres formes d’indemnisations, à côté de l’important bénévolat. Les rémunérations dégagées sont encore modestes, mais contribuent à l’émancipation des femmes et à leur autonomie économique par rapport à leur mari. Un autre modèle est à penser, qui permette d’exercer ces activités en toute légalité, tout en conservant la démarche bénévole et citoyenne du Lieu, et en pensant la rémunération comme un complément de ressources, voire comme support d’expérimentation de monnaie sociale.

Dépassant la simple reconnaissance des acteurs d’ESS, ces nouvelles pratiques permettent la reconnaissance de la capacité de l’ESS pour répondre à des besoins socio-économiques réels.

Synthèse de mon indignation en une seule phrase

La politique de la ville est trop souvent pensée de manière descendante et cloisonnée, niant la richesse et les capacités des habitants des quartiers à co-construire leur devenir.

Témoignages

Ces quartiers sont le terreau d’activités souvent non reconnues, voire délibérément rejetées qui démontrent à l’inverse la capacité d’entreprendre d’une partie des populations reléguées. Les activités reconnues et les services publics ont plutôt tendance à disparaître, tout comme le travail social. En s’appuyant sur les porteurs individuels et collectifs des activités existantes, en confortant l’accès aux droits dans la proximité, en renouvelant les pratiques du travail social communautaire, on peut relancer une dynamique locale sociale et économique. Plutôt que d’attirer à grand renfort d’exonérations/aubaines et de communication des entreprises sur les quartiers, il s’agit de renforcer financièrement les activités qui y sont déjà et encore, souvent d’économie sociale et solidaire. La responsabilité des logeurs sociaux est immense dans ce changement de dynamique. Lorsqu’ils s’étaient donné pour règle 10% de leurs marchés réalisés par des personnes en difficulté sociale, très souvent leurs locataires, ils solvabilisaient à la fois les personnes et les logeurs, cercle vertueux renforcé d’un réseau de chargés de mission de l’insertion par l’économie, qui accompagnaient ces locataires.