Diversité et co-construction des modes de mise en oeuvre de l’intérêt général

Cahier de l’entrée Participer / Démocratiser    

Argumentaire

Y a le choix ! L’intervention publique doit sortir de la tentation du « tout marché ».

Un constat s’impose aujourd’hui en France : les collectivités locales ont de plus en plus recours aux marchés publics. Cela s’inscrit dans un contexte plus global de révision du Code des Marchés Publics en France depuis 2006 et de la Directive services en Europe qui incite les Etats membres à revoir l’application des services d’intérêt général. Nous voulons que les missions d’intérêt général assurées par les acteurs de l’Economie Sociale et Solidaire (ESS) passent par une co-construction de leur mode de conventionnement avec les collectivités. Derrière ces discussions d’apparence techniques, se pose un choix de société : va-t-on vers une société du tout marché, où la mise en concurrence généralisée et la marchandisation seraient la règle?

Les acteurs de l’ESS ne doivent pas devenir uniquement des prestataires !

L’ESS illustre les principes d’exercice de la citoyenneté au travers, notamment, du droit à l’initiative ou encore du droit à l’innovation, économique ou non. Aujourd’hui, cet exercice semble menacé par la tendance au « tout marché » qui investit désormais les relations entre collectivités territoriales et acteurs de l’ESS. Le risque est alors de reléguer les organismes de l’ESS au simple rang de prestataires, évinçant alors leurs autres dimensions : attestataire et protestataire. Pourtant, c’est par la globalité de leur projet que les acteurs de l’ESS contribuent à l’intérêt général et qu’elles ont donc une légitimité à être soutenues de façon adaptée.

Le technique ne doit pas prendre le pas sur le politique !

On nous dit souvent : il n’y a pas le choix, l’Europe impose. Or la Directive Services offre des possibilités de protéger les services publics des règles du marché intérieur et de la concurrence, comme le souligne l’Assemblée des Départements de France . Cette directive laisse aux Etats membres le choix de définir les secteurs qui, par exception, peuvent être reconnus d’intérêt général. Dans la lignée de la révision du Code des Marchés Publics de 2006, l’Etat français a fait le choix de ne pas établir de loi-cadre pour l’application de la Directive. Et aujourd’hui, au sein des collectivités, les services juridiques et administratifs prennent le pas sur la volonté politique locale. Ces difficultés s’ajoutent à une profonde méconnaissance globale de ces enjeux démocratiques. La conséquence en est une très grande diversité des pratiques entre territoires, voire même entre services d’une collectivité, sans aucune coordination, au détriment de l’égalité de traitement.

La mise en œuvre de l’intérêt général doit être le résultat d’un choix politique concerté!

On nous dit aussi : la mise en concurrence des structures, au travers des marchés publics, est supposée garantir un meilleur rapport qualité-prix à la collectivité et donc assurer une dépense maitrisée. Pourtant, « les vertus attachées systématiquement à la commande publique ne résistent pas à l’analyse des atouts d’un conventionnement efficace » .

Il est donc crucial, sur les plans démocratique et économique, de préserver la pluralité des modes de collaboration entre la puissance publique et les structures de l’ESS. Parmi les éléments de choix, il est important de réaffirmer la place de la subvention, lorsque l’initiative est bien associative et rencontre les politiques des collectivités locales.

Il s’agit de permettre aux citoyens, aux élus du territoire et aux organisations de faire de la mise en œuvre de l’intérêt général le résultat d’un choix politique concerté. Celui-ci ne peut se réduire ni à une définition unilatérale de l’intérêt général par la puissance publique, ni à une concertation technico-administrative soumise aux seules forces du marché.

Conditions du développement

1. Mobiliser les acteurs et les collectivités autour de ce thème par :

  • la formation et l’information des élus et techniciens des collectivités

  • son appropriation par les élus et les services, notamment juridiques et financiers

  • l’information et la formation des acteurs sur leurs droits et les possibilités d’action

  • le développement d’une culture de la coopération

2. Convaincre les citoyens que ce thème, d’apparence technique, est en réalité politique et reflète un véritable choix de société

3. Développer une culture de la co-construction, parce que l’efficience d’un mode de contractualisation dépend :

  • du projet

  • des organismes à qui l’action est confiée

  • de la prise en compte de l’environnement et des attentes des bénéficiaires

4. Convaincre chacun que les SSIG font partie intégrante du modèle social européen. Il est indispensable de s’en saisir pour protéger les activités et les organismes dont le but premier n’est pas la recherche du profit mais du mieux vivre ensemble.

Les leviers:

La formation du collectif SSIG contribuera à mettre en oeuvre :

  • des formations conjointes à destination des collectivités territoriales et locales (élus et techniciens), avec les autres acteurs de l’intérêt général (bénévoles et salariés)

  • la publication de textes de référence

  • des manifestations publiques diverses (débats, théâtre forum, expositions …)

  • une intervention de « référents " ou « experts » SSIGavec pour mission d’inciter les collectivités à protéger leurs SSIG, et à soutenir celles qui ont initié une démarche en ce sens

  • l’affectation de 10% de d’ensemble des budgets formation des collectivités à la co-formation (sur le modèle des 10% de clause sociale dans les marchés publics) des acteurs de l’intérêt général et des élus et techniciens des collectivités

  • une procédure d’enquête d’utilité sociale sur le modèle des enquêtes publiques préalables aux délibérations cadre

Le collectif s’impliquera aussi pour :

  • promouvoir la diversité des des formes de contractualisation et de financement entre collectivités et acteurs

  • garantir le droit à l’initiative et reconnaître l’innovation sociale par la création d’un fonds européen spécifique

  • créer dans la législation existante un seuil spécifique aux SIEG de 600 000 euros d’aides publiques sur 3 ans sans information préalable obligatoire de la Commission Européenne

  • le collectif se réfère aussi aux propositions du Manifeste européen pour une nouvelle approche de l’UE sur les SSIG

Changement d’échelle possible

  • L’échange sur les pratiques favorisera le développement d’une nouvelle culture de la co-construction des politiques publiques.

  • La mobilisation des acteurs et la sensibilisation des citoyens permettront la prise de conscience collective qu’il y a le choix, que d’autres modèles économiques existent, sont possibles et peuvent être développés.

  • Les collectivités sont des lieux de pouvoir politique et décisionnaire et ensemble, elles peuvent changer les choses à leur niveau.

  • Ensemble, les citoyens, les collectivités et leurs groupements peuvent faire bouger les choses aux niveaux national et européen.

Facteurs de succès

  • Développer une culture de la co-construction, en faisant la preuve que l’efficacité d’un mode de conventionnement dépend du projet et des organismes auxquels il s’adresse.

  • Développer une culture de la transversalité entre services des collectivités.

La structure, porteuse de l’initiative

un regroupement régional d’acteurs, qui pourrait par exemple s’inspirer du Collectif SSIG national, sera composé :

  • des collectivités

  • des organismes de la formation, pour apporter leurs savoir-faire dans ce domaine

  • des opérateurs de l’intérêt général, pour la co-construction des modes de contractualisation,

Les partenaires

  • Les collectivités

  • L’Etat

  • L’UE

  • Les acteurs de l’ESS

Message à l’opinion

Les SSIG, et les décisions européennes de façon plus globale, d’apparence techniques reflètent en réalité des choix politiques que nous ne devons pas subir mais dont nous devons être acteurs!

Message aux décideurs

  • des collectivités locales et territoriales :

se saisir et s’approprier ces questions et délibérer rapidement sur ce thème :

avec le soutien et la participation des acteurs concernés

avec une délibération cadre territoriale mais aussi des décisions opérationnelles permettant autant les mandatements (au sens européen du terme) que l’initiative associative financée par subvention

  • du gouvernement:

réviser le code des marchés publics et en particulier son article 30

présenter une loi cadre mobilisant a minima l’ensemble des protections prévues par la règlementation européenne

  • européens:

créer une politique en faveur des SSIG et plus globalement mieux informer les populations européennes des débats et décisions (à la Commission, au Parlement Européen, …)

Comité de pilotage : APES, CRESS, RTES (animateurs de la mobilisation régionale) ;

AROFESEP, Artois Comm, Cap Solidarités, CFDT, Conseil Général 59, CFE-CGC, CGT, Chantier Ecole, Cigales, Conseil Régional, COORACE, CPCA, FO59, GABNOR, GEMA, Ville de Lille, Lille Métropole Communauté Urbaine, MRES, Mutualité Française, URIAE, URIOPSS, URSCOP, USGERES

Membres du groupe de travail :

Lille Métropole Communauté Urbaine, Arofesep, RTES, Rhizômes, Conseil Général 59, Ville de Seclin, MRES, APES, Fonsation Macif, Colline-Acepp

Contributeur : Jean Gadrey ( Professeur Honoraire Université de Lille I)

Message à ceux qui font l’ESS

  • Sortir de l’entre-soi

  • se mobiliser pour faire connaître et reconnaître la diversité des modalités de contractualisation

  • développer les coopérations et éviter les pratiques concurrentielles

Proposition pour influencer les décideurs

  • Rassemblement des collectivités : formation interne transversale et co-formation avec les acteurs de l’intérêt général

  • Mobilisation des citoyens et acteurs de de l’intérêt général sur ce thème

Propositions pour convaincre l’opinion

Débat publics, manifestations diverses (théâtre forum, exposition itinérante, conférence,…)

Publications

Présentation de l’initiative (Quoi ?)

Fiche délibération SSIEG Tourcoing : un exemple de co-construction de l’intérêt général

Présentation de l’initiative (Quoi ? ) :

La ville de Tourcoing a fait le choix de voter une délibération cadre générale, en date du 17 décembre 2009, en vue de sécuriser chaque service social d’intérêt économique général (SSIEG) de la ville.

Cette délibération a pour objet d’engager officiellement la ville dans une démarche de mise en conformité au droit communautaire des financements accordés par la ville aux différents SSIEG tels que le Plan Local pour l’Insertion et l’Emploi (PLIE) et la Maison De l’Emploi notamment.

Cela suppose de mettre en place un mandatement officiel et précis des SSIEG pour l’accomplissement des missions d’intérêt général.

Les acteurs (Qui ?) :

L’union départementale des CCAS du Nord (UDCCAS) en lien avec l’union nationale (UNCASS), le collectif SSIG (Services Sociaux d’Intérêt Général) et la CRESS, ont organisé un séminaire de travail en septembre 2009, en amont de la délibération, à l’hôtel de ville de Tourcoing, sur le thème : « Service d’intérêt général et droit communautaire : quels impacts pour les CCAS et les acteurs de l’économie sociale et solidaire ? »

Deux tables rondes ont rythmé cette matinée de travail : la première autour de la logique de mandatement animée par des acteurs de l’ESS : Directeur Général du CCAS de Roubaix, Président d’honneur de l’URIAE Nord Pas de Calais, un représentant du collectif SSIG.

La seconde table ronde s’orientait autour de la question de la transposition de la directive services et était animée par des élus (Patrick Kanner, MF Delannoy, Renaud Tardy)

En quoi cette initiative répond à notre indignation ?

Le vote de cette délibération permet d’exclure de la concurrence des services d’intérêt général qui se doivent de satisfaire les besoins de la population. Cela évite que la satisfaction de l’intérêt général soit entre les mains d’entreprises privées dont le but premier est la recherche de profit.

Cela permet également un nouveau mode d’intervention de la collectivité dans une logique de co-construction de l’intérêt général compte tenu du contexte dans lequel la délibération a été prise.

Impacts de l’initiative :

La délibération cadre générale visait à engager un processus de normalisation des aides de la ville. Cette délibération encourageait au vote de délibérations spéciales à prendre pour chacun des SSIEG financés pas la ville.

Toutefois, à ce jour, ces délibérations opérationnelles n’ont pas suivi.

Cette initiative montre que les villes ont pris conscience de la nécessité de protéger leurs services d’intérêt général et de les mandater à cet effet. Mais il faut désormais aller plus loin, et mettre en oeuvre de manière opérationnelle ce qui est indiqué dans une délibération cadre qui fixe la stratégie globale.

Autre initiative : la ville de Lille a voté une délibération en 2010, dans la foulée de celle de Tourcoing fin 2009, ayant pour objet la compétence du conseil municipal en matière de définition des services sociaux d’intérêt général, toujours dans le but de se mettre en conformité avec le droit européen concernant les aides publiques.

Ainsi, si l’exécution de l’obligation de service public est confiée à l’association par mandat, les aides publiques sont considérées comme compatibles avec la réglementation européenne, dans la mesure où elles correspondent à des compensations octroyées en contrepartie de la gestion de service d’intérêt général.

Ainsi, la ville de Lille souhaite définir les services sociaux d’intérêt général et notamment dans le domaine de l’insertion, l’emploi, le logement social, la petite enfance.

Tout comme les exemples de Tourcoing et Villeneuve d’Ascq, cette délibération générale n’a pas donné lieu à des délibérations plus précises.

Si ces trois expériences de communes (parmi d’autres) du Nord Pas de Calais montrent une prise de conscience dans la nécessité de protéger les services sociaux d’intérêt général, elles ne sont qu’un premier pas car elles ne mandatent pas spécifiquement une structure pour sa gestion de l’intérêt général.

Toutefois l’expérience du Conseil Régional Poitou-Charentes montre que cela est possible.

La Région a en effet souhaité créer un service public régional de formation professionnelle et a considéré que ce service public prend la forme d’un SIEG (Service Economique d’Intérêt Général). C’est à ce titre qu’elle a décidé de passer une convention de mandatement précisant les objectifs fixés en termes de nombre de parcours de formation menant à la qualification. Cette convention précise également la compensation financière prévue pour la réalisation de l’action.

Pour assurer le droit à la formation des publics, le Conseil Régional a fait le choix d’un mandatement direct, sous forme d’achat de formation, qui ne relève ni du marché ni de la subvention, mais qui souscrit aux obligations européennes en matière de transparence et de non discrimination.

3 jurys participent à cette procédure de mandatement direct :

Jury 1 : vérifie l’adéquation entre candidatures et obligations, continuité de l’offre, sa qualité, son accessibilité.

Ce jury est composé d’élus, d’experts, d’organismes professionnels.

Jury 2 : assure l’analyse des aspects financiers, et notamment les assises financières du prestataire.

Jury 3 : précise sur quels périmètres de formation les organismes interviendront.

Par ailleurs, on peut noter un mode intéressant de co-contruction de l’intérêt général en prenant l’exemple de la direction environnement du Conseil Régional Nord-Pas-de-Calais (DIRENV).

Ainsi, les relations entre les associations et la DIRENV témoignent d’une intéressante collaboration entre acteurs et collectivités locales. Un important travail a été réalisé en 2010 entre la Région et les associations, dans le cadre du renouvellement des conventions pluri-annuelles d’objectifs et de la mise en place d’une nouvelle modalité de soutien, via un appel à projets.

Une cinquantaine d’associations sont financées de façon régulière pour la mise en oeuvre de programme de sensibilisation à l’éco-citoyenneté, pour un budget d’environ 2 millions d’euros.

En 2010, un appel à projets, doté d’une enveloppe (supplémentaire au budget courant) de 300 000 euros, a été mis en place. Cet appel à projets a notamment pour objectif de faire émerger des projets sur des priorités précises peu travaillées par les acteurs, mais intéressant la Région. Il a été construit en associant un groupe de travail regroupant 25 acteurs (associations d’éco-citoyenneté, associations de consommateurs, CERDD, collectivités locales,..).

Cet appel à projets comprend 2 phases:

  • une lettre d’intention, de 2 ou 3 pages

  • un dépôt de dossier complet

Ces 2 phases ont pour objectif de permettre de mieux ajuster les réponses à l’appel, de favoriser la coopération et la mutualisation entre acteurs. Un retour écrit est réalisé pour chaque projet, et 2 rencontres collectives sont organisées.

Pour les Conventions Pluriannuelles d’Objectifs, une vingtaine d’associations sont actuellement en CPO. Cela facilite notamment la gestion de la trésorerie des structures (avances et acomptes dès le début d’année). Dans chaque CPO sont précisées les priorités de la Région, les priorités de la structure, et les points de convergence, faisant l’objet d’un financement. A priori, pas de risque de requalification, car la liberté associative (chaque acteur définit bien son territoire d’intervention, les actions qu’il mène,..) est respectée.

Synthèse de mon indignation en une seule phrase

Y a le choix ! L’intervention publique doit sortir de la tentation du « tout marché »